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Relation
L’homme se connaît par la médiation de sa relation
avec l’autre homme. Je me reconnais à travers le regard de l’autre. J’intériorise
le regard que l’autre porte sur moi et je me vois tel que je me reflète dans
son visage. Être, c’est être-en-relation. L’existence de l’être
est une présence. Et la présence est une relation. Un lien. Se connaître soi-même est bien le commencement et la
fin de la philosophie, mais c’est la rencontre de l’autre homme qui provoque
la connaissance de soi-même. La re-connaissance du prochain, dans sa mêmeté
qui nous unit et dans son altérité qui nous différencie, est l’événement
fondateur de mon identité. L’unité, donnant à l’homme repos et sérénité,
n’est pas celle de l’« être un avec soi-même », mais celle de
l’« être un avec l’autre ». Il faut penser l’homme non pas dans son face à face
narcissique de lui-même avec son moi, mais dans la relation dés-intéressée
avec autrui. C’est en accueillant l’autre dans la bonté que l’homme
accomplit son humanité. Mais, à l’origine, la relation de l’homme avec
l’autre homme a toute chance d’être conflictuelle. Chacun veut satisfaire
ses besoins, défendre ses intérêts et réaliser ses désirs. Chacun veut
vivre pour soi. Le moi n’est pas haïssable, mais il le devient lorsque le
souci de soi ne laisse aucune place au souci d’autrui, lorsque le besoin de
reconnaissance de soi implique la méconnaissance de l’autre homme. Le besoin
légitime de reconnaissance se pervertit lorsqu’il engendre une lutte pour la
réputation et ouvre la voie à la prétention et à la vanité. Le besoin d’être
reconnu s’étiole dans le désir d’être connu. L’homme a un formidable
appétit de gloire. Il ne cesse de rendre un culte à lui-même et de solliciter
les autres pour qu’ils participent à cet hommage. L’homme veut être célèbre
au milieu des autres, c’est-à-dire célébré par les autres. Or la célébrité,
non pas celle qu’on reçoit, mais celle qu’on recherche, se conquiert contre
les autres. Être célèbre, c’est être au premier rang. Et pour cela,
il faut bousculer les autres et les bousculer plus fort qu’ils nous bousculent
eux-mêmes. Cette recherche d’une vaine célébrité fausse la
relation aux autres. La vérité de l’homme est de vivre en bonne intelligence
avec l’autre homme dans une reconnaissance réciproque. La valeur de l’homme
n’est pas un prix, mais une dignité. L’humanité est une dignité.
L’homme devient humain lorsqu’il respecte la dignité de l’autre homme. Et
la première exigence de ce respect, son exigence fondatrice, c’est
l’interdit de la violence. C’est pourquoi le principe de non-violence fonde
et structure la relation de l’homme avec autrui. La relation de l’homme avec l’autre homme est
essentiellement une relation de visage à visage. Si l’homme a appris à se
tenir debout, c’est pour pouvoir en-visager l’autre homme face à face. Le
lien de la relation avec autrui, c’est le regard, et le regard inaugure la
parole. « Si tu me cherches, fait dire à notre ad-versaire la sagesse des
nations, tu me trouves. » Dès lors, la question est de savoir où nous
cherchons l’autre. Au commencement d’une rencontre, il faut bien que l’un
des deux protagonistes prenne l’initiative, que l’un se décide à adresser
un regard, une parole ou un geste à l’autre. Et tout dépend de la nature de
ce regard, de cette parole ou de ce geste. S’ils sont des signes de respect,
il y a toute chance pour que l’autre réponde par un signe de respect. S’ils
sont des signes de mépris, il est probable que l’autre réponde par un signe
de mépris. En chaque être humain, il y a un homme incliné à la malveillance
et un autre disposé à la bienveillance. Le plus probable est que ce soit celui
auquel je m’adresse qui me réponde. En définitive, nous trouvons l’autre là
où nous le cherchons. Probablement, l’autre nous regardera avec le même
regard avec lequel nous le regardons. Il nous rendra « notre politesse ». Le lieu de l’éthique ne se réduit pas à
l’espace privé où l’homme vit des relations individuelles avec ses
proches, il s’élargit à l’espace public où l’homme se confronte à ses
lointains. La responsabilité éthique est aussi une responsabilité politique. Amour
Bonté
Conflit
Non-violence
Respect
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