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Respect
Dans le premier temps de la rencontre incertaine avec
l’autre homme, n’éprouvons-nous pas davantage la crainte qu’il nous fasse
du mal plutôt que l’espoir qu’il nous fasse du bien ? Tout d’abord,
plus qu’il ne compte sur sa bonté, chacun redoute la violence de l’autre.
Ce que nous attendons d’abord de l’autre homme, c’est qu’il nous regarde
avec respect. Être respecté, c’est être regardé (le mot
« respecter » a pour racine étymologique le verbe latin spectare,
« regarder » ; plus précisément, il vient du verbe respicere
qui signifie littéralement « regarder en arrière », d’où
« s’arrêter pour regarder », « regarder avec bienveillance »).
« N’avoir aucun regard » pour quelqu’un, c’est n’avoir aucun
égard, aucune considération pour lui ; c’est déjà lui exprimer son mépris. Comme la non-violence, le respect, dans un premier
temps, est une attitude négative qui consiste à s’abstenir de porter
atteinte à la dignité des autres. Respecter l’autre homme, c’est d’abord
s’abstenir de violence à son encontre. Ce qui fonde la vie en commun des
hommes n’est pas l’amour, mais la justice, le simple respect des droits de
chacun. Par sa nature même, le respect implique une certaine distance. « Garder
sa distance », c’est veiller à ne pas empiéter sur le territoire de
l’autre, à ne pas piétiner son jardin, à ne pas violer son espace vital.
Peut-être, tout à l’heure, l’autre nous invitera-t-il à nous approcher et
à entrer chez lui en nous accordant l’hospitalité. Mais, en attendant cette
invitation, nous devons respecter sa « propriété privée » qui héberge
sa vie privée. Se respecter, c’est trouver la bonne distance qui offre à
chacun l’espace dont il a besoin pour être libre et autonome. Respecter
autrui, c’est être attentif à trouver la juste distance avec lui, celle qui
permet de se voir, de se reconnaître, de s’identifier mutuellement sans
fusion ni confusion, celle qui tienne compte au mieux des attentes de chacun. Le premier droit imprescriptible de l’homme est le
droit au respect. L’humanité de l’homme, de tout homme et de tous les
hommes, est digne de respect. Il en résulte que le premier devoir de l’homme
est de respecter l’humanité de l’autre homme. La notion de respect est
constitutive de l’exigence de non-violence. On peut proposer cette définition
de la non-violence : le respect de l’humanité aussi bien dans sa
propre personne que dans la personne de l’autre homme. Ce respect qui est dû à l’autre homme implique de
ne pas le mépriser, même si lui-même manque de respect envers autrui. Certes,
il n’est pas vrai que toutes les idées, toutes les attitudes, toutes les
actions sont respectables, c’est-à-dire « dignes de respect ».
Mais celui-là même qui commet le mal garde en lui une part d’humanité qui mérite
le respect. Le crime ne détruit pas toute l’humanité du criminel. Le mal
doit être combattu, sans merci, mais, pour autant que faire se peut, sans faire
de mal à celui qui le commet. Ce qui caractérise précisément la lutte
non-violente, c’est qu’elle vise à mettre en œuvre des méthodes
d’action qui permettent de respecter l’adversaire. Celui qui opte pour la
non-violence veut parier qu’en définitive l’homme violent est capable de
prendre conscience de sa propre violence et d’y renoncer. Le meilleur moyen
pour que l’homme redécouvre son humanité, c’est de la respecter. Il
importe donc que les moyens de contrainte utilisés pour le mettre hors d’état
de nuire lui laisse sa chance. Ainsi le respect est dû à tout homme en sa qualité
d’être humain. Cependant, il est des personnes pour lesquelles nous éprouvons
un respect particulier, pour lesquelles nous avons « beaucoup de respect »,
non seulement pour leur qualité d’être humain, mais pour leurs propres
qualités humaines. Ici, le respect n’est plus une obligation, mais un
sentiment fondé sur la sympathie et l’estime. On mesure ici la différence
essentielle entre le respect et la tolérance : le respect s’éprouve, se
ressent, tandis que la tolérance s’endure avec patience, demande un effort.
La tolérance ne s’éprouve pas. Sur un autre registre, on parle du respect dû à
l’autorité. Le propre de l’autorité, en effet, est d’être respectée,
mais il lui appartient d’abord d’être respectable. Le respect de
l’autorité doit être fondé sur son mérite et non sur son pouvoir. Le véritable
respect ne saurait s’obtenir par la contrainte. Si l’autorité doit « se
faire respecter », c’est précisément qu’on lui « manque de
respect ». La contrainte peut imposer l’obéissance et la soumission,
mais elle « n’impose pas le respect ». Autorité
RelationTolérance
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