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Autogestion
Une campagne d’action non-violente doit se donner un
objectif clair, précis, limité et possible, qui puisse être atteint à court
terme. Mais, en même temps, l’injustice dénoncée et combattue ne doit pas
être isolée de son contexte économique, social et politique. Il importe, au
contraire, de la situer à l’intérieur d’une analyse globale de la société,
en sorte que l’objectif ponctuel choisi soit lui-même intégré à un projet
politique global. Une action non-violente vient alors prendre sa place dans le
cadre d’une stratégie visant à faire aboutir à long terme un projet
politique dont la visée est de construire une société plus juste et plus
libre. Une politique qui s’inspire de la philosophie de la
non-violence ne doit donc pas se réduire à une somme de contestations et de
protestations contre les injustices du désordre établi ; elle doit être
fondée sur un projet concernant l’ordre social qu’elle veut établir et
dont elle doit prétendre assumer la gestion. Les luttes non-violentes se sont
le plus souvent développées dans une dynamique de résistance. Mais, pour
atteindre ses objectifs, la résistance doit s’articuler avec
l’anticipation, la proposition et la mise en œuvre progressive d’un
programme constructif. Par son dynamisme propre, la philosophie de la
non-violence est porteuse d’un projet politique qui vise à établir une véritable
démocratie, à la fois économique, politique et culturelle. Un tel projet doit
viser à inscrire dans la réalité sociale l’égalité des chances pour tous
et permettre la diminution progressive des rapports de violence dans
l’organisation sociale. Il rejoint ainsi celui du « socialisme
autogestionnaire », dont la visée est de permettre à chaque femme et à
chaque homme d’acquérir le pouvoir d’être maître de son propre destin
dans la coresponsabilité de la « chose publique » (c’est-à-dire
de la ré-publique) avec les autres membres de la société. L’autogestion politique, c’est la gestion de la république
par les citoyens eux-mêmes. Cela implique qu’ils participent le plus
directement possible aux pouvoirs de décision répartis aux différents niveaux
de l’organisation sociale. Plus précisément, l’autogestion veut donner aux
individus la possibilité de participer directement aux décisions dans
les domaines qui les concernent directement. L’autogestion consiste donc dans
l’exercice du pouvoir par le peuple des citoyens : elle est donc
l’expression effective de la démo-cratie. Et la démocratie effective n’est
pas fondée sur la délégation et la représentation, mais sur la participation.
C’est pourquoi, au-delà de la mode des mots, l’autogestion, comme recherche
et expérimentation d’une démocratie réellement participative, sera toujours
à l’ordre du jour du débat politique. Un projet autogestionnaire doit préciser les
structures et les institutions sociales, économiques et politiques qui
permettraient de réguler les inévitables conflits qui surgissent au sein
d’une collectivité humaine, sans retomber dans les contradictions du
centralisme bureaucratique qui caractérise la gestion de nombreux États
modernes, c’est-à-dire sans être à nouveau prisonnier de l’engrenage de
la violence. En ce sens, la visée de l’autogestion est de se rapprocher le
plus possible d’une gestion non-violente de la société politique. L’autogestion se trouve confrontée à l’exercice
du pouvoir politique. De même que la lutte non-violente rend nécessaire de
recourir à certains moyens de contrainte, la gestion non-violente de la société
n’est pas possible sans la mise en œuvre de certaines contraintes pour établir
l’ordre social. L’autogestion ne peut pas être la convivialité harmonieuse
de tous les citoyens unis dans le respect et la confiance mutuels. Prétendre éliminer
toute contrainte de la gestion de la société, ce serait s’égarer dans
l’utopie et se condamner à l’impuissance. Mais dire cela, ce n’est pas
retomber dans la logique de la violence ; c’est s’obliger à rechercher
les moyens non-violents d’une telle contrainte.
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