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Pouvoir
Dans sa relation à l’autre homme, l’individu doit
être capable d’exercer le pouvoir qui lui permet d’acquérir et de protéger
l’espace dont il a besoin pour vivre en liberté. Une relation de justice est
fondée sur l’équilibre entre les pouvoirs des individus. Chacun doit exercer
son propre pouvoir dans les limites qui permettent cet équilibre. Quand, par désir
de puissance, l’individu cherche à dominer autrui, il n’hésitera pas à
recourir aux moyens de la violence. Et celle-ci ne peut que provoquer un déséquilibre
qui crée l’injustice. Toute lutte pour la justice et la liberté est une
lutte pour le pouvoir. Les relations entre les individus et les groupes sociaux,
à l’intérieur d’une même collectivité, sont largement déterminées par
les rapports de force qui existent entre eux. Les victimes d’une injustice
sociale ne peuvent obtenir la reconnaissance de leurs droits que s’ils
parviennent à acquérir suffisamment de pouvoir pour contraindre les pouvoirs
établis à leur rendre justice. La stratégie de l’action non-violente vise non pas
directement la prise du pouvoir pour le peuple, mais d’abord l’exercice
du pouvoir par le peuple. Dans un premier temps, il ne s’agit pas de préparer
une offensive frontale contre le pouvoir étatique, mais d’organiser la société
civile afin de permettre aux citoyens d’exercer directement leur propre
pouvoir. Toute victoire, même ponctuelle, d’une campagne
d’action non-violente peut redonner espoir à ceux qui subissent des
injustices comparables à celle qui fut à l’origine du conflit qui vient de
s’achever. L’exemplarité de cette victoire peut créer une dynamique des
luttes populaires qui mobilise de plus en plus de citoyens décidés à ne plus
subir les pouvoirs qui leur sont imposés d’en haut et à conquérir leur
propre pouvoir. À travers ces luttes, ils font l’expérience de la
gestion de leurs propres affaires ; ils font l’apprentissage de l’autogestion. La montée des luttes populaires crée les conditions
qui permettent au peuple de rassembler ses forces dans un mouvement politique
visant non seulement à résister et à lutter contre les pouvoirs établis,
mais à « prendre le pouvoir ». Un mouvement de résistance
non-violente ne doit pas rester enfermé dans sa fonction contestataire ;
il a vocation à devenir gestionnaire. Deux scénarios de prise du pouvoir sont possibles :
l’un est électoral et l’autre insurrectionnel. Dans une société
assez démocratique pour permettre une réelle expression du suffrage universel,
les élections sont le procédé normal par lequel une organisation qui a su
conquérir la majorité politique accède au pouvoir. Dans ce cas,
l’alternance démocratique ouvre la voie à une véritable alternative
politique. Dans une société où la voie légale se trouve
obstruée, un mouvement politique qui incarne l’espérance et la détermination
du peuple doit rechercher une autre voie pour accéder au pouvoir qui lui
revient de droit. Il s’agira alors d’organiser à l’échelle du pays une
campagne de désobéissance civile et, lorsque la situation le permettra,
d’appeler le peuple à une insurrection pacifique contre le régime établi. Dès
avant la prise effective du pouvoir, les leaders du mouvement de résistance
peuvent être considérés comme les représentants de l’autorité légitime
du pays et sont fondés à constituer un gouvernement parallèle et provisoire.
Pris dans les réseaux d’un maquis politique étendu à tout le pays, le
gouvernement encore légal devra finir par admettre qu’il n’est plus capable
de contrôler la situation. Bon gré mal gré, il lui faudra cèder la place. Parvenus au pouvoir, les leaders d’un mouvement de résistance
non-violente sont alors confrontés à la tâche de mettre en œuvre les
principes et les méthodes de la non-violence dans l’organisation et la
gestion de la société. Ils pourront le faire dans la mesure même où la lutte
a pu développer une culture de la non-violence parmi la population. Le fait même
d’avoir conduit le mouvement de résistance à la victoire leur confère une
autorité qui doit leur permettre d’exercer le pouvoir en ayant recours le
moins possible aux moyens de la contrainte externe. Lorsqu’ils estimeront
qu’ils doivent y recourir, ils devront s’efforcer de le faire sans user des
moyens de la violence. Autorité
État
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