Tolérance
Le
mot « tolérance » a pour racine étymologique le verbe latin tolerare
qui signifie « supporter ». Tolérer l’autre homme, c’est le
supporter avec patience tel qu’il est, que cela nous plaise ou non.
Être tolérant, c’est notamment accepter que l’autre affirme une vérité
ou professe une croyance différente de la nôtre. Nous pouvons estimer qu’il
se trompe entièrement ; mais, dès lors que ses idées n’alimentent pas
une idéologie négatrice des droits de l’être humain, nous lui reconnaissons
le droit d’exprimer son erreur. Plus que cela, nous entendons faire respecter
ce droit par ceux qui seraient enclins à ne pas le faire. La vérité peut-elle
tolérer l’erreur, demandent les intolérants ? La sagesse répond que la
vérité doit tolérer l’erreur, car l’erreur n’offense pas la vérité.
Pour autant, il ne s’agit pas de transiger avec la vérité et de
s’installer dans une indifférence sceptique. Au contraire. La vérité que
nous professons exige par elle-même le respect de la liberté d’autrui et
nous devons nous en tenir à une attitude cohérente avec cette exigence. Faire
preuve de tolérance, ce peut être également reconnaître que nous sommes des
êtres faillibles et que, sur de nombreux points, nous ne pouvons pas prétendre
avoir la certitude de posséder la vérité. C’est ainsi vouloir faire droit
à la part de vérité de ceux qui pensent différemment de nous.
La
tolérance n’est pas le respect. Au contraire, en règle générale, nous n’éprouvons
pas beaucoup de respect pour ce que nous tolérons. Le principe de tolérance
est affecté d’un coefficient négatif : tolérer, c’est
essentiellement s’abstenir ; s’abstenir de condamner, d’empêcher,
d’interdire, de contraindre, de recourir à la violence. Entendue ainsi, la
tolérance est l’une des expressions mineures de la non-violence. Elle est en
quelque sorte le « service minimum » exigé par la non-violence.
Bien qu’elle s’exprime de manière négative, et souvent passive, on mesure
la valeur positive de la tolérance lorsqu’on considère tout ce que son
contraire, l’intolérance, peut engendrer de violence. Quand on observe tous
les méfaits de l’intolérance nourrie par les idéologies, les dogmatismes,
les intégrismes, les sectarismes et tous les exclusivismes, on apprécie à
leur juste valeur les bienfaits de l’esprit de tolérance.
Nombre
d’idées, d’opinions et de croyances fausses – du moins que nous considérons
telles – ne sont nullement dangereuses et il n’y a donc aucun inconvénient
à les « tolérer ». Mais faut-il tolérer des idées, des opinions
et des croyances qui représentent un danger réel ou probable pour la sécurité
et la liberté de l’ensemble des citoyens ou d’une catégorie d’entre eux ?
La réponse est négative. La tolérance doit s’arrêter aux limites de
l’intolérable. Au-delà de ces limites, la tolérance se pervertit et se
dénie. Face à l’intolérable, ce n’est pas la tolérance qui est à
l’ordre du jour, mais la résistance et la lutte. Il appartient aux démocraties
d’imaginer les moyens de contrainte cohérents avec les valeurs qu’elles
professent qui leur permettent de mettre hors d’état de nuire ceux qui
propagent des idées et des doctrines qui incitent au mépris, à la haine et à
la violence. La bonté et l’amour sont sans limites ; la tolérance, elle,
a ses limites. La tolérance n’est pas une obligation universelle, mais un
choix de circonstance.
Il
n’est pas rare qu’il soit reproché à celui qui opte pour la non-violence
de se montrer « intolérant » à l’encontre de ceux qui ne font
pas ce choix. Certes, la non-violence exige le plus grand respect de ses
interlocuteurs. Pour autant, ce respect non seulement n’exclut pas la
confrontation des idées, mais la requiert. Et il n’est pas vrai que toutes
les idées sont respectables. Si la violence est détestable, les idées qui la
cautionnent et la justifient sont elles-mêmes détestables. Au fondement de la
conviction de celui qui opte pour la non-violence, il y a la prise de conscience
que la violence est intolérable. Il ne peut donc que se trouver en profond désaccord
avec ceux qui la tolèrent et il ne lui sera pas possible de taire ce désaccord.
Car toute tolérance à l’égard de la violence, mais aussi à l’égard des
idées et des idéologies qui fondent cette tolérance, lui semble déjà être
une complaisance et une complicité. Il est dans la nature même de tout désaccord
d’être conflictuel. Certes, c’est un conflit d’idées et non pas de
personnes ; mais il serait vain de se cacher que les idées impliquent
aussi les personnes. Celui qui opte pour la non-violence ne saurait fuir ce
conflit. Non seulement il doit l’accepter et l’assumer, mais souvent il ne
pourra faire autrement que de le provoquer. Ainsi, face à la violence,
l’exigence de non-violence appelle la plus ferme intransigeance. C’est
pourquoi l’option pour la non-violence refuse les facilités de la
complaisance et n’hésite pas à manifester une certaine dureté. Oui, la
non-violence est dure !
La
force des injustices du désordre établi, c’est qu’elles bénéficient de
la tolérance de la majorité que l’on dit justement silencieuse. Face à cet
accommodement qui engendre la démission, il importe de réhabiliter la vertu
d’intolérance qui fonde la volonté de résistance. L’espérance est
faite d’intolérance. Car pour espérer en une société plus juste et
plus libre, il faut d’abord refuser de tolérer toutes les injustices et
toutes les violences d’ici et de maintenant.
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