Force
En dehors d’une claire distinction entre « force »
et « violence », l’usage de l’un ou l’autre de ces deux termes
risque fort de manquer son propos. Si nous désignons par « force »
le pouvoir qui humilie, opprime, meurtrit et tue, nous n’aurons plus de mot
pour désigner la force qui n’humilie pas, n’opprime pas, ne meurtrit pas,
ne tue pas. Dès lors que les concepts de force et de violence se trouvent
identifiés l’un à l’autre, les mots nous manquent pour nous demander
s’il n’existerait pas une force qui ne serait pas violente.
Au sens moral, la force est la vertu de l’homme
qui a le courage de refuser de se soumettre à l’empire de la violence.
L’homme fort ne déploie pas les moyens de la puissance et de la violence,
mais possède la sagesse de la non-violence. Celui qui possède la force domine
ses propres passions, résiste à l’entraînement des passions collectives et
garde la maîtrise de son propre destin. Ici, l’opposé de la force est la
faiblesse de ne pas résister à l’ivresse de la violence.
Cette « force d’âme », cette force
spirituelle ne peut prétendre par elle-même s’opposer efficacement à la
force de l’injustice qui meurtrit les opprimés. L’une et l’autre ne se
situent pas sur le même registre. Seule, en réalité, la force organisée dans
l’action appuyée sur le nombre peut être efficace pour combattre
l’injustice et rétablir le droit. C’est donc se tromper que de vouloir
discréditer la force au nom du droit puisque, dans les faits, le droit ne peut
avoir d’autre fondement ni d’autre garantie que la force. Le propre de
l’idéalisme est de conférer au droit une force spécifique qui agirait dans
l’histoire et serait le véritable fondement du progrès. Tout montre, au
contraire, qu’une telle force n’existe pas. De même, il est largement
illusoire de penser qu’il existerait une « force de la justice »,
une « force de la vérité » et une « force de l’amour »
qui pourraient par elles-mêmes « forcer » les puissants à reconnaître
le droit des opprimés. Pour accéder à la liberté, ceux-ci doivent se
rassembler, se mobiliser, s’organiser et agir.
Toute lutte est une épreuve de force. Dans un
contexte économique, social et politique déterminé, toute relation aux autres
s’inscrit dans un rapport de force. L’injustice résulte du déséquilibre
des forces par lequel les plus faibles sont dominés et opprimés par les plus
forts. La lutte a pour fonction de créer un nouveau rapport de force dans le
but d’établir un équilibre, en sorte que les droits de chacun soient respectés.
Dès lors, agir pour la justice, c’est rétablir l’équilibre des forces ;
et cela n’est possible qu’en exerçant une force qui impose une limite à la
force qui introduit le déséquilibre.
Il n’est possible de discréditer la violence que si
l’on a d’abord réhabilité la force en lui donnant toute sa place et en lui
reconnaissant toute sa légitimité. Il est aussi essentiel de récuser en même
temps le prétendu réalisme qui justifie la violence comme étant le fondement
même de l’action politique, et le prétendu spiritualisme qui refuse de
reconnaître la force comme étant inhérente à l’action politique. Et la
force n’existant que par l’action, il n’est possible de dénoncer et de
combattre la violence qu’en proposant une méthode d’action qui ne doive
rien à la violence meurtrière, mais qui soit capable d’établir des rapports
de force qui garantissent le droit. C’est le défi que veut relever la stratégie
de l’action non-violente.
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