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Violence

L’homme n’éprouve pas seulement la violence subie par lui ou par autrui, il expérimente être lui-même capable d’exercer la violence envers l’autre. L’homme, à la réflexion, se découvre violent. L’expérience de sa fragilité, de sa vulnérabilité, de sa finitude incline l’homme à être violent envers l’autre homme. Parce que, au plus profond de lui-même, l’homme a conscience qu’il est mortel, il est prompt à devenir meurtrier. La peur de la mort, corrélative du désir d’immortalité, nourrit en l’homme la volonté de tuer. C’est parce que l’individu se sent à chaque instant menacé dans son existence, qu’il est si souvent tenté de faire violence à autrui. La mort de l’autre homme, lui apparaît comme un gage de sa propre survie.

La violence est une partie intégrante de la vie, a-t-on coutume de dire en manière de justification. Assurément, à l’écart de la vie, point de violence ! L’homme est un être de passion autant que de raison. Et l’homme qui subit sa passion est violent. À chaque moment, il peut nourrir de puissants sentiments d’inhumanité qui l’apprêtent à blesser l’humanité de l’autre homme. Pour dominer sa violence, il lui faut apprendre à devenir raisonnable, c’est-à-dire capable de se raisonner. Si la violence prend sa source dans l’œuvre de la vie, l’œuvre de la violence est la mort. C’est l’énergie de la violence, dès lors qu’elle est accueillie, apprivoisée, drainée, canalisée, maîtrisée, déplacée, transmuée, sublimée, qui exprime le mouvement constructif de la vie et non point la violence éruptive, brutale, cruelle. Cette dernière n’est en fait qu’un dévoiement de l’agressivité. L’agressivité permet l’affirmation de soi dans l’affrontement avec l’autre. La violence, elle, provoque la négation de l’autre et, dans le même temps, met en péril sa propre existence. En définitive, à la racine de cette violence turbulente, il n’y a pas la vie, mais le viol, le viol de la vie, la mort.

Toute violence qui s’exerce contre l’homme est un viol : le viol de son identité, de sa personnalité, de ses droits, de sa dignité, de son humanité. L’action violente est, en rigueur de terme, l’acte de violenter. L’image d’un être humain dé-figuré de par la volonté d’un autre homme manifeste l’horreur de la violence. La violence c’est la dé-figuration du visage de l’homme. Cette dé-figuration représente le drame de l’humanité ; elle prive l’existence d’un sens et brise l’espérance. La violence est véritablement désespérante. Le tragique de l’existence n’est pas que lʼhomme soit mortel, mais qu’il puisse être meurtrier.

Viol, la violence est violation de la Loi. Non pas de la loi écrite, mais de la Loi fondamentale non écrite qui interdit le meurtre pour permettre le langage et la vie commune. Viol, la violence est la transgression de cet interdit primordial. Par cette transgression, la violence détruit le lien social et rend impossible la vie en communauté.

La violence est impatience : précipitation et brusquerie. Elle n’épouse pas les rythmes de la temporalité. Elle ne respecte pas les mouvements du temps. N’en reconnaissant pas les éléments constitutifs, elle fait éclater le lien qui unit passé et futur. Elle bouscule le présent, elle le brutalise. Elle se refuse à temporiser. Point d’évolution possible. Elle ne laisse pas le temps au mûrissement. En un mot, elle « brûle les étapes ». Ne pouvant plus se déployer dans la temporalité, le réel s’en trouve dénié.

Au regard de la prudence qui fonde la sagesse pratique de l’homme raisonnable, la violence apparaît comme une im-prudence, c’est-à-dire un manque de pré-voyance des conséquences quʼelle entraîne nécessairement. L’intention raisonnable qui peut se trouver à l’origine de la violence tend à disparaître par son effet d’engrenage. Par sa brutalité même, le mécanisme de la violence est aveugle. Il conduit presque toujours ceux qui agissent par la violence à aller bien au-delà de ce qui est nécessaire au regard même de la rationalité en fonction de laquelle ils ont décidé d’utiliser la violence. Celle-ci se caractérise par le fait qu’elle occupe tout l’espace dans lequel elle agit. Elle affecte alors tout ce qui se trouve dans cet espace et il est illusoire de penser qu’elle ne supprimera que le mal.

Il est essentiel de définir la violence de telle sorte qu’on ne puisse pas dire qu’il existe une « bonne violence ». Dès lors qu’on prétend distinguer une « bonne » et une « mauvaise » violence, on ne sait plus dire la violence et on s’installe dans la confusion. Surtout, dès qu’on prétend élaborer des critères qui permettent de définir une « bonne violence », chacun aura le loisir de les accaparer pour justifier sa propre violence. Essentiellement, la violence est négation. Toute manifestation de violence, quels qu’en soient le degré et l’intention, et même si elle ne va pas au terme du mouvement qui la constitue, participe à un processus de meurtre, de mise à mort. Le passage à l’acte n’aura pas nécessairement lieu, mais la visée ultime de la violence est toujours la mort de l’autre, son exclusion, son élimination, son anéantissement. Toute violence est un attentat perpétré contre l’humanité de l’autre homme.

Faire taire, c’est déjà faire violence ; priver l’homme de sa parole, c’est déjà le priver d’existence. Faire violence, c’est faire du mal, c’est mal faire et faire mal. Faire violence, c’est faire souffrir. De l’humiliation à la torture, du mépris au meurtre, multiples sont les formes de violence et multiples les formes de mort. Porter atteinte à la dignité de l’humanité de l’homme, c’est déjà porter atteinte à sa vie. Faire violence, c’est aussi se faire mal. La violence blesse et meurtrit d’abord l’humanité de celui qui l’exerce. En toute rigueur, elle l’abolit. Faire violence, c’est d’abord se faire violence à soi-même. (C’est le seul sens que peut avoir l’expression « se faire violence à soi-même » : elle est irrecevable lorsqu’elle voudrait enjoindre à l’homme de maîtriser ses passions. Cette maîtrise doit se faire sans exercer la moindre violence contre soi-même.) Libérer l’humanité de la violence, c’est en même temps libérer de leur violence les hommes violents et les hommes violentés, en même temps les oppresseurs et les opprimés, parce que les hommes violents sont eux-mêmes opprimés par leur propre violence.

Les situations d’injustice qui maintiennent des êtres humains dans des conditions d’aliénation et d’oppression constituent également des violences caractérisées, dites « violences structurelles ».

Il ne convient pas de parler de « la violence » comme si elle existait par elle-même au milieu des hommes, en quelque sorte en dehors d’eux, et comme si elle agissait par elle-même. En réalité, la violence n’existe et n’agit que par l’homme ; c’est toujours l’homme qui est responsable de la violence. Certes, la mort est partout présente dans la nature, mais le meurtre est le propre de l’homme. La nature détruit et tue, mais elle ne le sait pas. Elle est en quelque sorte innocente de la mort qu’elle donne. La pierre qui tombe peut tuer l’homme, mais elle ne le veut pas. Elle n’en n’a pas l’intention. Et elle n’en a pas conscience. Les catastrophes naturelles sont mortelles, elles ne sont pas meurtrières. Il convient de parler de la « puissance » destructrice d’un tremblement de terre, mais non pas de sa « violence » meurtrière. Le lion tue la biche, mais il n’en est pas responsable. Il ne peut être qualifié de « violent » que par l’homme qui dépasse les lois de la nature en pensant. L’eau elle-même, qui est l’une des sources principales de la vie et qui est si souvent bonne pour l’homme, qu’elle soit du ciel ou de la mer, l’eau peut tuer. Mais il serait insensé de prétendre que l’eau peut être méchante et qu’elle devient alors « violente ». Et il en est de même du feu.

C’est pourquoi on se refusera à parler de « la violence de la nature ». On renoncera à ce sophisme qui voudrait affirmer : la violence est en l’homme comme elle est partout dans la nature. Un tel raisonnement n’a d’autre effet de banaliser la violence et de la rendre inéluctable. Insidieusement, on en vient à la proposition « La violence est la loi de la nature » qui fait de la violence une fatalité. Seul, l’homme est un animal meurtrier, car lui seul est raisonnable. Lui seul tue son semblable en connaissance de cause. La violence est une faculté propre à la volonté humaine. Seul l’homme tue librement ; seul, il a la capacité d’intérioriser la visée intentionnelle de donner la mort. En outre, les hommes constituent la seule espèce animale dont les membres se tuent les uns les autres sans retenue dans des massacres collectifs.

Face à la violence, l’homme conscient éprouve, à la réflexion, le sentiment de l’injustifiable. Les actes de violence existent, mais l’homme lucide affirme, de manière péremptoire, qu’ils ne devraient pas être, avant même qu’il puisse savoir ce qui devrait être. Ces actes sont commis en violation des normes morales généralement établies ; ils froissent la sensibilité humaine, mais surtout ils manifestent une contradiction beaucoup plus radicale, irréductible. Ils attestent un irrémédiable divorce entre les exigences spirituelles de l’homme et la déchéance du monde. Que l’homme éprouve le sentiment de l’injustifiable devant les maux qui meurtrissent l’humanité de l’autre homme, voilà ce qui lui révèle la vérité et la force de ses exigences spirituelles. Connaître la violence, c’est la reconnaître comme un crime contre l’humanité. Connaître la violence, cʼest, plus encore que la craindre, la mépriser.

L’homme en quête de sagesse décide de refuser de pactiser avec la violence qui dé-figure l’autre homme, en commençant par refuser toutes les raisons qui prétendraient la légitimer. Ce « non » de la raison, de la conscience et du cœur que l’homme oppose à la violence fonde l’option décidée pour la non-violence. Car ce qui est encore plus inacceptable que la violence, c’est sa légitimation. L’idéologie de la violence, dans la mesure où elle se préoccupe avant tout de faire de la violence un droit de l’homme, ne prend en compte ni la souffrance de l’homme violenté, ni la déshumanisation de l’homme violent. S’il faut dépenser tant de peine pour justifier la violence, c’est précisément parce qu’elle est injustifiable. Nul ne pense à devoir justifier la bonté.

Si l’agressivité et la force qui s’exercent dans la lutte permettent le règlement du conflit, la violence au contraire entraîne un dérèglement du conflit. La violence enraye le fonctionnement du conflit et ne lui permet plus de remplir sa fonction, l’élaboration entre les adversaires de relations justes. En définitive, la violence n’est pas la solution, elle est le problème. Cependant, dans certaines situations-limites, le souci de réduire et, pour autant que faire se peut, de faire cesser la souffrance d’autrui, peut rendre nécessaire, au titre du moindre mal, un usage réfléchi, contrôlé et limité de certains moyens de violence. Mais la violence ne devient pas bonne pour autant. Nécessité ne vaut pas légitimité.

Il ne faut pas voir dans la violence l’expression d’une quelconque fatalité. Si les hommes ont si souvent recouru à la violence pour défendre l’ordre établi lorsqu’il garantit la liberté, ou pour combattre le désordre établi lorsqu’il maintient l’oppression, c’est parce qu’ils pensaient qu’ils ne disposaient pas d’autres moyens. Aussi la violence ne mérite-t-elle pas seulement une condamnation, elle appelle une alternative. Il est essentiel de rechercher des « équivalents fonctionnels » de la violence. L’exigence éthique qui récuse la violence a toute chance de se trouver écartée, tant que la violence apparaîtra nécessaire à l’efficacité de l’action. L’exigence éthique rejoint le réalisme politique pour fonder la recherche de moyens qui permettent de résoudre humainement, par d’autres moyens que ceux de la violence destructrice et meurtrière, les inévitables conflits humains. C’est là que se situe le véritable défi de la non-violence.

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