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Agressivité
L’homme
peut devenir un être rationnel, mais il est d’abord un être instinctuel et
pulsionnel. Les instincts constituent un faisceau d’énergies. Lorsque
celui-ci est bien noué, il structure et unifie la personnalité de l’individu.
Mais s’il se dénoue, l’individu tout entier se déstructure et se désunit.
L’agressivité est l’une ce ces énergies ; comme le feu, elle peut être
bienfaisante ou malfaisante, destructrice ou créatrice. Ainsi, la colère, qui
peut s’emparer de l’individu en lui faisant perdre tout contrôle de soi,
est un débordement d’agressivité. La colère est l’émotion que nous
ressentons quand nos projets sont brusquement contrariés, lorsque nous nous
cognons à la réalité, lorsque nous éprouvons un profond sentiment
d’injustice. Dominer sa colère, la gouverner et transformer l’agressivité
qu’elle comporte en une énergie constructive est le signe d’une véritable
intelligence émotionnelle. L’agressivité
est une puissance de combativité, d’affirmation de soi qui est constitutive
de la personnalité. Elle permet d’affronter l’autre sans se dérober.
Être agressif, c’est s’affirmer devant l’autre en « marchant
vers lui ». Le verbe agresser, en effet, vient du latin aggredi
dont l’étymologie ad-gradi signifie « marcher vers »,
« s’avancer vers ». Ce n’est que dans un sens dérivé
qu’agresser signifie marcher contre : cela vient du fait que, dans la
guerre, marcher vers l’ennemi, c’est marcher contre lui, c’est-à-dire
l’attaquer. Ainsi, par son étymologie, le verbe a-gresser n’implique pas
davantage de violence que le verbe pro-gresser qui signifie marcher en avant.
Faire preuve d’agressivité, c’est accepter le conflit avec l’autre en
refusant de se soumettre à sa loi. Sans agressivité, je serais constamment en
fuite devant les menaces que les autres font peser sur moi. Sans agressivité,
je serais incapable de surmonter la peur qui me paralyserait en me retenant de
combattre mon adversaire et de lutter pour faire reconnaître et respecter mes
droits. Pour aller vers l’autre, il faut faire preuve d’audace et de
courage, car c’est aller vers l’inconnu, c’est partir à l’aventure. En
réalité, devant une injustice, la passivité est une attitude plus répandue
que la violence. La capacité de résignation des hommes est considérablement
plus grande que leur capacité de révolte. Aussi, l’une des premières tâches
de l’action non-violente est-elle de « mobiliser », c’est-à-dire
de mettre en mouvement, ceux-là mêmes qui subissent l’injustice, de réveiller
leur agressivité pour les préparer à la lutte, de susciter le conflit.
Lorsque l’esclave est soumis à son maître, il n’y a pas de conflit.
C’est alors, au contraire, que « l’ordre » est établi et que règne
« la paix sociale », sans que rien ni personne ne vienne les
remettre en cause. Le conflit ne survient qu’à partir du moment où
l’esclave fait montre de suffisamment d’agressivité pour « s’avancer
vers » (ad-gradi) son maître, oser lui faire face et revendiquer
ses droits. La
non-violence suppose avant tout qu’on soit capable d’agressivité. En ce
sens, il faut affirmer que la non-violence est plus opposée à la passivité et
à la résignation qu’à la violence. L’individu ne doit pas refouler son
agressivité, mais l’accueillir et l’apprivoiser de manière qu’elle
devienne une force créatrice. De même, l’action non-violente collective doit
permettre de canaliser l’agressivité naturelle des individus en sorte
qu’elle ne s’exprime pas par les moyens de la violence destructrice qui
risquent d’entraîner d’autres violences et d’autres injustices, mais par
des moyens justes et pacifiques qui puissent construire une société plus juste
et plus pacifique. En réalité, la violence n’est qu’une perversion de
l’agressivité.
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