Lutte
sociale
Que les individus en soient conscients ou non, ils
appartiennent à une classe sociale qui se trouve plus ou moins « privilégiée »
ou « défavorisée », selon sa position dans le système économique
et politique dominant. Sur le plan économique, il existe nécessairement un
antagonisme entre ceux qui détiennent et contrôlent les moyens de production
et les entreprises, et ceux qui, par leur travail, contribuent à la création
de la richesse, dont une partie est accaparée sous forme de profit. Si cette
opposition fonctionnelle peut paraître moins brutale et moins exacerbée
qu’elle ne l’était naguère, c’est précisément parce que la lutte menée
par les ouvriers leur a permis d’obtenir la satisfaction d’un grand nombre
de leurs revendications. Cependant, même si certains des critères mis en avant
par Marx sont devenus obsolètes, la lutte des classes n’est pas « dépassée »,
contrairement aux affirmations sommaires de l’idéologie libérale.
En effet, même si des acquis sociaux – obtenus de
haute lutte ! – ont permis d’améliorer sensiblement les conditions de
vie de la classe moyenne, les « violences structurelles » du
capitalisme n’ont pas disparu de nos sociétés. « L’exploitation de
l’homme par l’homme » prend ainsi des formes nouvelles : pouvoir
sans limites des actionnaires devenus institutionnels (gérants de fonds de
pensions, assurance-vie, holdings), précarisation croissante des salariés sur
un marché du travail toujours plus « flexible », émergence d’une
nouvelle sous-classe de « travailleurs pauvres », exclusion sociale.
De ce fait, l’égalité des chances reste plus que jamais à conquérir. Elle
ne peut l’être que par l’organisation et la lutte des victimes d’un économique
qui, structurellement, n’a de cesse de réduire les droits fondamentaux des
salariés et d’aliéner les plus faibles.
Certes, on ne saurait plus définir une classe
dominante (la « bourgeoisie ») et une classe opprimée (le « prolétariat »)
qui constitueraient deux blocs homogènes. Il reste cependant que de nombreux
conflits sociaux continuent d’opposer naturellement les travailleurs aux
dirigeants des entreprises. Seule, la lutte peut leur permettre de faire reconnaître
leurs droits. Même si l’expression est passée de mode, même si elle prend
des formes nouvelles, la « lutte des classes » reste donc dans nos
sociétés une réalité et une nécessité. La non-violence nous conduit à en
reconnaître la légitimité.
Justifier la lutte des classes, ce n’est pas
prôner la haine des classes. Ce n’est pas non plus se résigner à ce
que la violence domine les rapports entre les classes. C’est simplement
reconnaître que seule la lutte peut établir plus de justice entre les classes.
Revendiquer la justice, c’est en même temps préconiser des moyens justes
pour l’obtenir, c’est-à-dire des moyens non-violents. De fait, le plus
souvent, c’est par de tels moyens que les classes défavorisées luttent pour
obtenir justice. Mais leur pratique de la lutte non-violente est d’abord
pragmatique et ne fait généralement pas référence à une quelconque théorie
de la non-violence.
La non-violence reste en effet étrangère à la
culture de la classe ouvrière. Gardant le souvenir de ses blessures, elle
n’est pas disposée à accueillir les paroles moralisatrices de ceux qui prêchent
le refus de la violence et l’amour de l’ennemi. Souvent, en réalité, de
tels discours ont préconisé la collaboration des classes. Une certaine
conception de la « charité » envers les pauvres a dispensé pendant
longtemps d’exiger la justice pour les opprimés. C’est ainsi que, le plus
souvent, les religions ont contribué à maintenir le désordre établi. Préconisant
la « paix sociale » et condamnant la « lutte des classes »,
les autorités religieuses ne se sont pas aperçues qu’il y avait plus de
violence dans cette paix que dans cette lutte. Ce refus de reconnaître la nécessité
et la légitimité du conflit et de la lutte ne peut que faire le jeu des
puissants. Il s’inscrit sur un registre qui n’est pas celui de la
non-violence. Le dialogue des classes et la paix sociale sont bien dans la visée
de la non-violence, mais si le dialogue est le but, la lutte est bien le moyen
d’y parvenir.
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