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Délinquance
La
délinquance cause la rupture du lien social, mais, souvent, elle en est
d’abord la conséquence. À partir du moment où un individu, surtout
un jeune, ne trouve pas dans la société un enracinement qui structure sa
personnalité et donne un sens à son existence, il va être dans une
situation de rupture sociale. S’il s’est trouvé en situation d’échec
scolaire, il risque fort de se retrouver sans travail et sera privé d’une véritable
citoyenneté. C’est un engrenage. L’individu va subir une crise
d’identité. La
violence risque d’apparaître comme le dernier moyen d’expression à celui
auquel la société a refusé tous les autres moyens d’expression. La
violence semble être le dernier recours de celui qui est exclu de toute
participation à la vie de la communauté. La violence peut apparaître comme
une réponse à l’ennui. Elle apporte un peu de « brillance »
dans la grisaille de l’existence. Elle vient rompre la monotonie du temps
qui s’étire dans l’inoccupation des jours et l’inanité du temps. La
violence exprime ici une quête de reconnaissance, une volonté de vivre :
« Je suis violent, donc je suis. » Mais, le plus souvent, la
violence est un masque qui cache un être en errance, en souffrance et en désespérance.
Celui dont tous les liens avec la société ont été brisés n’a plus de
possibilité de communiquer avec les autres, sinon avec ceux qui se trouvent
dans la même situation. Ils vont donc constituer une « bande » en
marge de la société. Ils estimeront qu’ils n’ont aucune raison de
respecter les lois d’une société qui ne respecte pas leurs droits.
L’incivilité est la conséquence d’une privation de citoyenneté. La
violence permet d’autant mieux de se faire reconnaître qu’elle est
interdite par la société. Elle symbolise alors la transgression d’un
ordre social qui ne mérite pas d’être respecté. Les acteurs de la
violence recherchent à faire voir et à faire valoir cette transgression.
À celui que la société exclut de toute reconnaissance, la violation
de la loi apparaît comme le meilleur moyen de se faire reconnaître. En outre,
la violence de transgression, en détruisant les symboles d’une société
injuste, en jetant à terre les attributs d’un ordre inique, procure un
malin plaisir, une réelle jouissance. De ce fait, la violence exerce une
fascination sur ceux qui ressentent la frustration et l’humiliation d’être
des exclus. La violence est pour eux une tentative désespérée de se réapproprier
du pouvoir sur leur propre vie. N’est-ce pas là une manière dégénérée,
dévoyée, gauchie, d’accès à une forme de transcendance ? Toute
tentative de « moralisation » est vouée à l’échec. Il
faut comprendre cette violence comme une provocation, c’est-à-dire,
selon la signification étymologique de ce mot, comme un « appel ».
La violence s’enracine dans une angoisse et veut être un appel au secours.
La violence voudrait être une parole ; elle est, du moins, un cri. Il
s’agit donc d’entendre cette violence plutôt que de la condamner.
Il nous faut donc accepter de répondre à cette interpellation. En définitive,
cette violence est l’expression d’un désir de communication, un besoin de
dialogue. Ceux qui recourent à la violence rejettent la société qui les a
elle-même rejetés. À la société d’entendre leur appel. S’efforcer
de comprendre la violence ne signifie pas « laisser dire et laisser
faire ». Au contraire, comprendre la violence c’est aussi
l’interdire. Cette violence manifeste que ceux qui s’y adonnent ne
rencontrent pas de limites ; ils demandent dans le même temps qu’on
leur impose des limites. L’enfant et l’adolescent ont besoin de se heurter
à des limites mises en place par l’autorité des adultes. Elles seront
autant de repères leur procurant la sécurité dont ils ont un besoin vital
et leur permettant de structurer leur personnalité. L’absence de limites
les plonge dans l’angoisse et celle-ci engendre la violence. Il faut donc répondre
à la violence en tentant de rétablir la communication. Le pire serait de répondre
à cette violence par la violence. Ce serait un formidable aveu
d’impuissance de la part de la société. Il
faut donc répondre à cette violence en mettant en œuvre une stratégie non-violente
qui vise à créer des lieux où la rencontre redevient possible, des espaces
intermédiaires où des médiateurs pourront rétablir la communication entre
les exclus et la société. Il sera alors possible de faire valoir
l’obligation de la loi. Ce n’est que si les adultes ont une attitude de
non-violence qu’il leur sera possible de signifier à nouveau l’interdit
de la violence. Cependant,
la contrainte n’est pas toujours à proscrire. Elle est parfois nécessaire.
Elle pare au plus pressé et peut permettre d’éviter le pire dans l’immédiat,
même si elle ne résout pas pour autant le problème posé. Dans cette
perspective, on ne saurait nier la nécessiter d’une police et d’une
justice qui garantissent la sécurité des victimes des actes de délinquance.
Cependant, l’une et l’autre doivent être non pas tant des appareils de répression
que des institutions de médiation. Si la violence est l’expression d’une parole qui n’a pu être dite, lorsque le violent pourra dire sa violence, il sera déjà davantage en mesure de la maîtriser et de la convertir. La parole libère de la violence. La médiation doit viser à permettre aux exclus et aux délinquants de se réapproprier leur vie par la parole. La parole a une vertu efficiente. Mettre en paroles – « paroliser » – ses frustrations, ses désirs, ses souffrances, ses peurs, ses colères, c’est prendre une distance qui permet d’apprivoiser la réalité par la ré-flexion. Justice
Médiation
Police
Prison
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