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Police
Toute société doit se doter d’une police en lui
donnant pour mission de « maintenir l’ordre » et de « faire
respecter la loi ». Le mot « police » a la même étymologie
que le mot « politique » et se rapporte au gouvernement de la
« cité ». La visée de l’action policière, comme celle de
l’action politique, est de pacifier la vie sociale, c’est-à-dire de
construire une société libérée de l’emprise de la violence. La fonction de
la police est de concourir à garantir les libertés des citoyens, à faire
respecter leurs droits et à assurer leur sécurité. Littéralement, les
policiers doivent être des « agents de la paix », c’est-à-dire
qu’ils doivent « faire la paix » entre les individus et les
groupes qui vivent dans la même cité. Pour cela, la police doit neutraliser
les fauteurs de violence afin de les mettre hors d’état de nuire. La fonction
de la police est fondamentalement une fonction « anti-violence ». Il
importe donc de mettre en œuvre les moyens les plus efficaces pour atteindre la
fin recherchée. Et les moyens les plus appropriés pour faire la paix sont des
moyens pacifiques. Nous retrouvons ici le principe d’efficacité de la
stratégie de l’action non-violente : les moyens mis en œuvre doivent être
en cohérence, en harmonie avec la fin. La police a donc pour tâche essentielle
de prévenir et, le cas échéant, de résoudre les conflits en recourant aux méthodes
non-violentes d’interposition, de médiation et de conciliation. Il est
d’autant plus nécessaire qu’il est possible que la formation donnée dans
les écoles de police contienne une initiation à ces méthodes. Cependant, la police peut être amenée à utiliser
des méthodes de « contrainte par corps » – au sens littéral de
cette expression – afin de neutraliser des fauteurs de violence et de les
mettre hors d’état de nuire. Il existe des situations particulières où il
est difficile de neutraliser, sans recourir à la violence, un ou plusieurs
individus armés qui menacent la vie d’autrui. Cependant, même en de telles
circonstances, tout doit être tenté pour désarmer et capturer le/les
malfaiteur(s) en évitant de les blesser ou de les tuer. Si, malgré tout, il y
a mort d’homme du fait de la police, il s’agit d’un échec qui interdit
tout « communiqué de victoire ». Si la police échoue à rétablir
la paix sociale sans utiliser la violence meurtrière, la société tout entière
partage la responsabilité de cet échec. Une démocratie commence à se nier
elle-même lorsqu’elle refuse de reconnaître sa propre violence comme un échec. Il convient de se demander s’il ne serait pas
possible d’instituer un rite public, au cours duquel, chaque fois que
l’usage de la force publique a causé la mort d’un homme, un représentant
de l’État reconnaîtrait que l’exercice de la violence meurtrière, même
si elle a été nécessaire, est toujours un drame, un malheur, un échec – et
qu’elle est donc à vivre dans une conduite de « deuil ». L’existence de cas limites, où s’impose la nécessité
de recourir à la violence, ne saurait servir de prétexte à réhabiliter la
violence comme moyen habituel, normal d’assurer l’ordre public et de rétablir
la paix sociale. Pour que l’exception ne devienne pas la règle, mais vienne
au contraire la confirmer, il est nécessaire d’être encore plus rigoureux
dans le respect de cette dernière. Et la règle doit être la résolution
non-violente des conflits. Or, le fait est que les États démocratiques
eux-mêmes tolèrent la violence policière bien au-delà du seuil de la stricte
nécessité. Les policiers bénéficient d’une relative impunité dans
l’exercice de leurs fonctions, que ce soit lors des interrogatoires dans les
commissariats ou lors de la dispersion des manifestations publiques, qui les
conduit à se croire autorisés à commettre à l’encontre des citoyens des
actes de violence qui ne sont nullement nécessaires au maintien de la sécurité
publique. Des injures sont proférées, des coups sont donnés qui ne devraient
pas être tolérés dans un État de droit. Les citoyens ont à cet égard
un devoir de vigilance qui doit les amener à dénoncer ces manquements à la déontologie
des « gardiens de la paix ». Celles et ceux qui participent à une lutte
non-violente sont tout naturellement conduits à faire face aux policiers chargés
de « maintenir l’ordre » et de « faire respecter la loi ».
Cette rencontre, aussi inévitable qu’indésirable, doit aussi être négociée
selon les règles de la non-violence. Les arguments d’ordre moral viennent
rejoindre les arguments d’ordre tactique pour justifier une attitude de
rigoureuse courtoisie à l’égard des policiers. L’expression du mépris à
l’encontre des membres des forces de police, que ce soit par l’injure ou le
pavé, est d’abord une injustice envers des hommes dont la responsabilité
personnelle n’est pas directement engagée dans les causes du conflit en
cours. C’est toujours une faute majeure de se « tromper d’ennemi ».
Par ailleurs, beaucoup d’entre eux, selon toute probabilité, n’ont « choisi »
ce métier que sous les contraintes de leur situation sociale. Une attitude de mépris
à l’égard des policiers ne peut susciter chez eux que de l’antipathie à
l’encontre des manifestants et les enfermer dans la logique de leur rôle
d’agents de la répression, alors même que certains d’entre eux pourraient
s’interroger sur le bien-fondé des ordres qu’ils reçoivent. Dès lors
qu’ils se sentent menacés par la violence des manifestants, qu’elle reste
potentielle ou qu’elle devienne effective, ils n’hésiteront pas à recourir
eux-mêmes à la violence, ne serait-ce que pour se défendre. Les policiers
sont aussi des hommes qui connaissent la peur. Au demeurant, au sortir de cette
spirale de violence, force restera nécessairement à la loi. Si, au contraire, les manifestants « affichent »
clairement leur détermination à garder une attitude non-violente, l’hostilité
des policiers à leur encontre peut se trouver désamorcée. La nature même de
l’affrontement entre les uns et les autres peut s’en trouvée profondément
modifiée. À cette fin, il convient d’entreprendre avant l’action une
campagne d’information à l’intention des policiers. Si cela est possible,
il est utile d’avoir des contacts personnels avec eux, aussi bien parmi les
simples exécutants que parmi les responsables, et de leur faire valoir la
justesse à la fois de la fin recherchée et des moyens employés. Il faut alors
s’efforcer de les convaincre qu’ils seront respectés dans leur fonction de
« gardiens de la paix » et qu’ils ne seront nullement menacés par
l’action des manifestants. On peut ainsi chercher à obtenir leur compréhension,
voire, peut-être, leur sympathie. L’expérience des luttes non-violentes le montre :
il n’est pas vain d’inciter les policiers à désobéir à des ordres illégitimes,
sinon illégaux, qui leur commandent de recourir à la violence contre des
citoyens dans l’exercice de leur fonction. En réalité, les citoyens et les
policiers n’ont aucune raison de se considérer les uns les autres comme des
ennemis. Cependant, rien ne garantit que le recours aux méthodes de l’action
non-violente désamorcera effectivement le processus de la répression policière.
L’expérience montre également que le choix de la non-violence ne suffit pas
de faire l’économie des coups et du sang versé. Le combat non-violent aussi
peut avoir à compter ses blessés et ses morts. Mais, alors, il sera clairement
établi aux yeux de l’opinion publique que les pouvoirs publics portent
l’entière responsabilité du désordre et de la violence. Les manifestants
doivent se préparer à affronter une telle éventualité aussi bien
psychologiquement que physiquement. Au cours des sessions de formation, les
militants doivent apprendre à gérer leur stress et à prendre les attitudes
corporelles qui leur permettront de faire face au mieux à la brutalité des
policiers sans se réfugier dans la fuite. Afin que force reste au droit ! État
Répression
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