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NIKOS KAZANTZAKI :

SON ŒUVRE, SA PENSÉE,

SES RELATIONS AVEC LA FRANCE ET L’ORIENT

  Nikos Kazantzakis

Georges Stassinakis

Président du Comité de coordination

de la Société internationale des Amis de Nikos Kazantzaki

 

Lorsque vous demandez à quelqu’un s’il connaît Nikos Kazantzaki, la réponse est souvent négative. Lorsque vous lui demandez s’il connaît le film Zorba le Grec, la réponse est souvent positive.

Ainsi, Nikos Kazantzaki est plus connu par l’adaptation cinématographique de son livre Vie et aventures de Alexis Zorba que par son œuvre. Heureusement, notre auteur représente quelque chose de plus profond, des valeurs spirituelles, humanistes et cosmopolites, qui le rendent dune grande actualité.

L’objet de cette étude est de présenter l’ensemble de son œuvre, d’analyser sa pensée et, comme nous nous trouvons en Syrie et au Centre Culturel français, de rappeler son attachement et son amour de l’Orient et de la France.

Me référant souvent aux écrits de Nikos Kazantzaki, je développerai les thèmes suivants :

  1. L’œuvre de Nikos Kazantzaki
  2. Sa pensée
  3. Ses relations avec la France et l’Orient

I. L’ŒUVRE

Elle est riche, multiple, cohérente et vivante. En effet, Nikos Kazantzaki a embrassé tous les genres littéraires : poésie, théâtre, roman, essai, récit de voyage, livres pour les jeunes, traductions, correspondance, scénarios. On peut difficilement citer un autre auteur, grec ou non grec, créateur de tant d’œuvres et ayant dépassé les frontières de son pays de manière durable et si étendue.

1. Poésie

Kazantzaki s’est toujours considéré comme poète. N’oublions pas que son œuvre romanesque appartient aux dernières années de sa vie. Quelques mois avant sa mort, il a écrit sur un livre d’or d’une librairie d’Antibes, en France (où il a vécu de 1948 à 1957) :

« La poésie est le sel qui empêche le monde de pourrir. » Et quelques minutes avant sa mort, il disait aux médecins : « Vous savez, les poètes ne meurent jamais, presque jamais… »

Kazantzaki a écrit trois grands poèmes :

-          Son premier, le plus connu, est L’Odyssée. C’est une œuvre monumentale composée de 33.333 vers. Elle est fondamentale pour Nikos Kazantzaki. Il y décrit l’aventure d’Ulysse, c’est-à-dire sa propre aventure, et celle de l’homme moderne, à travers un voyage qui va d’Ithaque au Pôle sud, en passant par Sparte, la Crète et l’Afrique.

-          Le second est Tertsines, œuvre peu connue. Il s’agit de 21 poèmes dédiés, écrit Kazantzaki, « aux âmes qui ont nourri mon âme. »

-          Le troisième est inconnu. Il s’agit des Soneta.

2. Essais

C’est un aspect essentiel et souvent négligé de l’œuvre du grand Crétois. Kazantzaki en a publié 7 :

La maladie du siècle
La science a-t-elle fait faillite ?
Bergson
Symposium
Histoire de la littérature russe
Frédéric Nietzsche dans la philosophie du Droit et la Cité
Ascèse, Salvatores Dei. C’est le livre par excellence si l’on veut comprendre Kazantzaki.

3. Œuvres dramatiques

Cette partie de l’œuvre est généralement connue, mais pas dans sa totalité. Au nombre de 20, ces œuvres se réfèrent à des thèmes historiques, religieux, philosophiques et politiques.

Tragédies ayant des thèmes antiques :

Prométhée : 3 œuvres
Couros
Ulysse
Melissa

Tragédies ayant des thèmes chrétiens et byzantins

Christ
Nicéphore Phocas
Julien l’Apostat
Constantin Paléologue

                                     Tragédies ayant des thèmes divers

Jusqu’à quand ?
Fasga
Le jour luit
Comédie
Le Maître Maçon
Capodistria
Sodome et Gomorrhe
Othelo revient
Bouddha
Christophe Colomb

4. Romans

C’est la partie la plus universellement connue de l’œuvre de Kazantzaki. Il a écrit 11 romans :

Âmes brisées
Le Lys et le Serpent
Deux livres écrits en français : Toda-Raba, Moscou a crié, dans lequel il raconte son expérience en Union soviétique, et Le Jardin des rochers, dans lequel il relate son voyage en Chine et au Japon.
Vie et aventures d’Alexis Zorba
Le Christ recrucifié
Capétan Mihalis
Les frères ennemis
La dernière tentation
Le pauvre d’Assise
Rapport au Greco

5. Récits de voyage

Les voyages et les rêves représentaient pour Kazantzaki les guides de sa vie.

Il s’est rendu en Afrique, en Asie et en Europe. Il désirait aller aux États-Unis d’Amérique du Nord, mais les autorités grecques ne lui ont pas délivré de passeport.

Les voyages pour lui n’étaient pas synonymes de tourisme. Il était contre le tourisme qui défigure le paysage et fait perdre l’âme des peuples. Il voulait connaître le monde, les êtres humains, leur civilisation, la nature. « Le grand espoir du voyageur, écrit-il, est celui-ci : de trouver aux terres lointaines les images qui expriment son âme et l’aident à sauver et à se sauver. Plus je voyage, plus je sens que le voyage est pour moi un besoin de liberté. »

Nikos Kazantzaki a écrit des dizaines d’articles et de reportages sur ses voyages en Europe, en Afrique et en Asie, réunis pour la plupart, dans 5 volumes :

Ce que j’ai vu en Russie
Espagne, Italie, Egypte, Sinaï
Chine-Japon
Angleterre
Italie, Égypte, Sinaï, Jérusalem, Chypre.

6. Livres pour enfants

Il en a publié 2 : Alexandre le Grand et Dans le Palais de Minos, ainsi que des livres scolaires.

7. Scénarios

C’est une partie ignorée de son immense œuvre. Ils sont au nombre de 9, mais aucun n’a servi pour réaliser un film :

Le foulard rouge
Saint Pacôme et Cie
Mohammed
Une éclipse de soleil
Lénine
Bouddha
Don Quichotte
Décameron
Grèce éternelle

8. Correspondance

Des centaines de lettres, échangées avec sa famille, ses amis, des hommes de lettres, de sciences et de la politique, des ecclésiastiques, font découvrir la personnalité de Kazantzaki et l’étendue de son œuvre.

9. Articles, monographies et études

Kazantzaki a écrit des centaines d’articles et d’études, publiés dans des revues littéraires et dans la Grande Encyclopédie (grecque) Elethéroudakis, sur des personnages historiques, sur les plus grands savants et hommes de lettres du monde entier, démontrant ainsi son immense culture.

10. Traductions en grec effectuées par Nikos Kazantzaki

Même si cet aspect est méconnu, grâce à la connaissance des langues française, anglaise, allemande, italienne et castillane, Kazantzaki a traduit en grec l’ensemble de l’œuvre de Jules Verne, des ouvrages d’Alphonse Daudet, William James, Nietzsche, Maeterlinck, Bergson, Machiavel, Dante, Jiménez, Pirandello, Cocteau, Hauptmann, Gœthe, Shakespeare, Platon, Homère, Dickens, etc.

II. LA PENSÉE DE NIKOS KAZANTZAKI

C’est une pensée cohérente, très actuelle, liée à la vie, au cœur et à l’esprit.

Je la présenterai en examinant successivement les points suivants :

  1. La recherche de l’essentiel et de la liberté
  2. L’adoration de la nature
  3. La primauté de l’Esprit
  4. La nécessité du dépassement et de la synthèse

Tous ces éléments de la pensée kazantzakienne sont étroitement liés. Je ne les ai séparés que pour des raisons méthodologiques.

1. La recherche de l’essentiel et de la liberté

L’homme, selon Kazantzaki, doit toujours rechercher l’essentiel, ne pas perdre son temps à des conversations futiles, à des choses éphémères, à la luxure, aux luttes politiciennes et à une littérature à l’eau de roses. Il doit dépasser le « quotidien » et le « normal », car tout cela conduit à la perte de l’homme lui-même et le transforme en une personne « quelconque ». Il doit rechercher ce qui guide un être humain et une société, les fils conducteurs, pour aller plus loin et encore plus loin, sans s’arrêter, se dépasser.

S’adressant à son illustre compatriote, Domenicos Théotocopoulos, il écrit dans le Rapport au Greco : « Nous n’avons tous deux chassé pendant notre vie qu’une seule chose, une vision cruelle, sanguinaire, indestructible, la substance… Je ne t’ai jamais parlé des détails de la vie quotidienne, ce sont des coquilles vides. »

Dans un autre passage du même livre, il écrit : « Le temps est devenu pour moi le bien suprême. Quand je vois les hommes se promener, flâner ou gaspiller leur temps en discussions vaines, il me prend l’envie d’aller tendre la main au coin des rues comme un mendiant :

- Faites-moi l’aumône, braves gens, donnez-moi un peu du temps que vous perdez, une heure, deux heures, ce que vous voulez. »

Les fondements de toute destinée sont pour Kazantzaki la flamme et le fil rouge. Une citation :

Ce n’est pas la Russie qui m’intéresse mais la flamme qui démange la Russie. Amélioration du niveau de vie, bonheur, justice, vertu – des appâts populaires qui ne m’accrochent pas. Une seule chose m’emporte : je la cherche partout et je la poursuis des yeux, avec peur et bonheur : le fil rouge qui perce et transperce, comme un chapelet, les crânes, les hommes. Je n’aime que ce fil rouge, mon seul bonheur est de le sentir percer et traverser mon crâne en le morcelant. Tout autre chose est éphémère, stupide, philanthropique et végétarienne, sans valeur pour une âme libérée de tout espoir.

Ayant découvert la flamme et la ligne rouge, l’homme doit parler, crier. Le Cri est capital pour Kazantzaki. En 1949, il note :

Je suis l’homme le plus simple qui existe, mais lorsque je sens un « Cri » je n’accepte pas, pour faire plaisir aux muets et aux bégayeurs, de le transformer en une « petite voix ».

Dans Rapport au Greco, il écrit :

Tout homme a un Cri à lancer dans les airs avant de mourir, son Cri ; il faut se hâter pour avoir le temps de le lancer. Ce cri peut se disperser, inefficace, dans les airs ; il peut ne se trouver ni sur terre ni dans le ciel d’oreille pour l’entendre, peu importe. Tu n’es pas un mouton, tu es un homme : et un homme cela veut dire quelque chose qui n’est pas confortablement installé mais qui crie. Crie donc !

Flamme, fil rouge et cri symbolisent l’évolution créatrice de la vie avec laquelle l’homme doit composer, en rassemblant et en utilisant toutes ses forces, condition indispensable pour promouvoir la lutte pour la liberté.

La liberté pour Kazantzaki signifie d’abord absence de crainte et d’espoir. L’homme ne doit pas avoir peur du perfectionnement personnel et de la vie future. Il ne peut rien espérer des hommes, il ne doit pas rechercher les récompenses et les honneurs. Comme l’écrit justement le philosophe musulman Averroès : « Une morale fondée sur l’espoir de la récompense et la crainte du châtiment est indigne de l’homme de Dieu ; elle est immorale. »

C’est l’aspect le plus important de sa pensée et ce n’est pas un hasard si l’épitaphe suivante figure sur sa tombe, à Héraklion, en Crète : « Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre. » Cela signifie qu’il ne craint pas l’avenir, qu’il s’est débarrassé de toutes les superstitions, qu’il est donc libre et qu’il est arrivé à son « Dieu ». Il s’agit d’un message de délivrance et de liberté.

Pour atteindre la liberté, l’homme doit toujours « monter ». La « montée » est toujours le moyen suprême pour Kazantzaki. Monter en permanence, lutter à chaque instant pour arriver à une marche. Et lorsqu’on y arrive, monter plus haut. Ce qui est important, selon Kazantzaki, ce n’est pas la liberté mais la lutte pour la liberté.

Quelques citations permettront de mieux saisir la portée de ces affirmations :

Dans un entretien avec Pierre Sipriot à la Radio française en 1957, il note à propos des héros de ses romans : « Il ne s’agit pas d’un triomphe définitif mais d’une lutte sans fin. »

Dans Rapport au Greco, il précise :

Nous avons le devoir, au-delà de nos préoccupations personnelles, au-delà de nos habitudes commodes, au-dessus de nous-mêmes, de nous fixer un but, et ce but, jour et nuit, dédaignant les rires, la faim et la mort, de nous efforcer de l’atteindre. Non pas de l’atteindre ; une âme fière, dès qu’elle atteint son but, le déplace encore plus loin. Non pas de l’atteindre, mais de ne jamais nous arrêter dans notre ascension. C’est le seul moyen de donner à la vie noblesse et unité.

En 1952, il écrit à Knös, ami et traducteur suédois :

Le sujet principal, presque unique, de toute mon œuvre est : le combat de 1’homme avec « Dieu », la lutte acharnée du ver qui s’appelle « homme » contre les forces toutes-puissantes et ténébreuses qui se trouvent en lui et autour de lui ; l’obstination, la lutte, la ténacité de la petite Étincelle qui tâche de percer et de vaincre l’immense Nuit éternelle. La lutte et l’angoisse pour transformer les ténèbres en lumière, l’esclavage en liberté.

Inconsciemment, tout ce que j’ai écrit pendant l’Occupation, c’était sur la liberté, soif, désir profond de liberté : Prométhée, Zorba, Constantin Paléologue, etc. Lorsque les communards ont demandé à Renoir ce qu’il faisait pendant la Commune, il répondit : - Je peignais des fleurs. Moi, je peignais la Liberté !

Cette liberté, qui concerne la totalité de l’individu et de la société : liberté personnelle, sociale, économique et politique, est la base du cheminement politique de Kazantzaki.

Nikos Kazantzaki, comme d’autres intellectuels grecs et étrangers, a été influencé par les grands courants politiques et sociaux de son époque : nationalisme, communisme, socialisme, christianisme social. Mais il n’a jamais été militant, engagé véritablement et durablement dans an parti politique. Un homme libre ne pouvait pas agir autrement.

Cela ne l’a pas empêché, quand c’était nécessaire, de prendre des positions publiques pour la défense des opprimés, conte la faim, contre la guerre et pour la paix. Ses positions étaient guidées par des soucis humains et éthiques mais jamais par des préoccupations politiciennes. En 1957, dans un entretien à la Radio française, il déclarait : « Je crois qu’aujourd’hui, la mission d’écrivain « éveilleur » est indispensable pour tous les pays où l’injustice règne, je veux dire presque sur toute la terre. »

Cette déclaration, et celles qui suivront, précisent la clairvoyance et la profondeur de ses analyses politiques.

Jusqu’à 1923, je suis passé, tout consumé d’émotion et de flamme, par le Nationalisme…… De 1923 à 1933 à peu près, j’ai parcouru, avec la même émotion et la même flamme, les rangs de la gauche (je n’ai jamais été communiste ; comme vous le savez). Maintenant je parcours la troisième étape sera-ce la dernière ? je l’appelle liberté. Aucune ombre. La mienne seule, dégingandée, d’un noir sombre, ascendante. J’ai été délivré du rouge et des autres couleurs, j’ai cessé d’identifier le sort de mon âme mon salut avec celui de quelque idée que ce soit.

En 1928, il voyage en Asie soviétique. Il est émerveillé par les paysages et les monuments de Samarkand et de Boukhara. « Malheureusement, écrit-il, toutes deux vont maintenant vers leur déclin : elles commencent à se civiliser, c’est-à-dire à perdre leur âme et à singer Moscou qui singe l’Europe, laquelle singe l’Amérique. »

2. L’adoration de la nature

Kazantzaki a été un idolâtre de la nature, un physiolâtre. Il aime la nature et la décrit en permanence dans son œuvre. Il lui consacre dans Ascèse deux chapitres. Il trouve dans la nature une dimension divine. Il est tellement émerveillé par la terre qu’il regrette de devoir la quitter.

Dans la nature, Kazantzaki inclut le paysage, la terre, l’eau, la mer, le vent, la montagne, la campagne, les plantes, les fruits, les animaux, le ciel, le soleil. Tout est lié chez lui. Dans Alexis Zorba, il demande : « Si on savait ce que disent les pierres, les fleurs, la pluie ! Peut-être bien qu’elles nous appellent, et que nous, on n’entend pas. Quand est-ce que les oreilles des gens s’ouvriront ? Quand est-ce qu’on aura les yeux ouverts pour voir ? Quand est-ce qu’on ouvrira les bras pour s’embrasser tous, les pierres, les fleurs, la pluie, les hommes ? »

Il recherchait la nature pour se ressourcer, pour rencontrer les gens simples. La description de ses rencontres avec les bédouins et les crétois est merveilleuse.

Il adore le paysage. Il estime que les gens ne le regardent pas, qu’il n’y a, écrit-il, « aucune correspondance entre le paysage et l’homme. » Il critique les violences faites à la nature. Dans Toda-Raba, il demande aux gens : « Soyez simples et bons ! Aimez les hommes, aimez les animaux et les plantes. Aimez la nature, ne la violentez pas ! »

Il n’aime pas les centres urbains ; il suffoque en ville où prédomine le factice. Le

naturel des champs convient mieux à sa vitalité, à son appétit du vrai. « J’ai retrouvé à

Égine le calme, la terrasse, la mer, la montagne et moi-même. Combien futile, contraire à

ma nature, le bruit d’Athènes. »

Constamment à l’écoute de la nature, Kazantzaki y cherche l’entente, la consonance, l’harmonie parfaite entre son être et l’Univers.

Tout dans la nature renferme, selon Kazantzaki, une parcelle de spirituel et participe donc, à ce titre, de Dieu. Pour Kazantzaki, une simple feuille d’arbre porte, tout autant que l’Univers, témoignage du miracle de la création tout entière.

Le stoïque, le « détaché » que s’est employé à être Kazantzaki, avoue en toute franchise et en des termes pathétiques que, par delà toute réflexion sereine sur la mort et la condition humaine, l’homme a du mal à s’arracher à la terre.

Dans Rapport au Greco, il écrit :

[Il] hésite sur le seuil lumineux. Il est difficile d’arracher ses yeux, ses oreilles, ses entrailles des pierres et des herbes du monde. On dit : je suis rassasié, calme, je ne veux plus rien, j’ai réalisé mon dessin, je m’en vais, mais le cœur s’accroche aux pierres et aux herbes, résiste, supplie : attends encore.

C’est ce sentiment, ce trouble qu’exprime Ulysse, vers la fin de sa vie, près d’une source où il est venu se désaltérer :

Quelle terre, crie-t-il, les yeux pleins de larmes.

Comment l’âme peut-elle se décider à la quitter ?

3. La primauté de l’Esprit

Pour comprendre la pensée « religieuse » de Kazantzaki, il faut distinguer plusieurs niveaux :

-          celui de la religion

-          celui de l’Église

-          celui de la religiosité et de la spiritualité.

Le professeur grec Louvaris fait une distinction entre la religiosité et la religion : « La religiosité est le noyau, la religion la peau ; la religiosité est le vécu, la religion en est l’expression ; la religiosité est primordiale, elle coule de source, la religion en dérive. Il y a des hommes qui rejettent toute religion, mais personne n’est dépourvu de religiosité, car la religiosité constitue 1’élément constitutif de la nature psychique de l’homme. »

Kazantzaki se situe clairement sur le plan de la religiosité et de la spiritualité, mais pas au niveau d’une religion ou d’une Église, qui est une institution, avec tout ce que cela comporte (organisation, dogmes, discipline, etc.).

Son but permanent et suprême était la recherche de Dieu. Durant toute sa vie, il a cherché « l’harmonie, la liberté absolue, le chemin montant ».

Dans Ascèse, il écrit :

Un seul désir me possède : celui de surprendre ce qui se cache derrière le visible, de percer le mystère qui me donne la vie et me l’enlève, et de savoir si une présence invisible et immuable se cache par delà le flux incessant du monde.

Dieu pour Kazantzaki est dans chaque être. Dans Le pauvre d’Assise, il écrit : « Chaque homme, même le plus athée, a au fond de lui-même, dans son cœur, Dieu. » Mais Dieu pour Kazantzaki n’est pas une certitude, c’est une recherche permanente. Nous créons Dieu, nous le tuons, nous devons le sauver, contribuant ainsi à l’évolution créatrice du monde. Il est significatif à ce sujet de souligner que le sous-titre de son essai Ascèse est intitulé Salvatores Dei. Le Dieu de Kazantzaki est personnel et non transcendant.

Il a étudié toutes les religions et philosophies, ainsi que les textes de guides spirituels, chrétiens, musulmans, hindous et bouddhistes.

Dans Alexis Zorba, Kazantzaki distingue trois espèces d’hommes :

-          ceux qui se fixent pour but de vivre leur vie, comme ils disent, de manger, de boire, d’aimer, de s’enrichir, de devenir célèbres ;

-          puis, ceux qui se fixent pour but, non pas leur propre existence, mais celle de tous les hommes ; ils sentent que tous les hommes ne font qu’un et ils s’efforcent de les éclairer, de les aimer autant qu’ils peuvent et de leur faire du bien ;

-          enfin, il y a ceux dont le but est de vivre la vie de l’univers entier : tous, hommes, animaux, plantes, astres, nous ne faisons qu’un, nous ne sommes qu’une même substance qui mène le même terrible combat. Quel combat ? Transformer la matière en esprit.

4. La nécessité du dépassement et de la synthèse

Le point de départ de toute l’œuvre de Kazantzaki est la Crète. La terre, la langue, les traditions crétoises sont permanentes dans toute son œuvre. Son identité est crétoise.

Peut-on alors qualifier Kazantzaki d’auteur « régionaliste » ? Assurément pas. Kazantzaki était profondément crétois, il avait avec la Crète « une passion presque mystique ». Mais sa vie, son œuvre et sa pensée dépassent la Crète. Ses racines étaient crétoises, mais sa conscience universelle. Il écrit sur la Crète, mais il la dépasse pour s’intéresser aux problèmes qui concernent tout être humain, où qu’il vive.

Voici trois exemples significatifs :

  1. Selon Aziz Izzet, un de ses meilleurs biographes, « Kazantzaki a maintes fois répété que la plus grande préoccupation de sa vie avait été la dualité inhérente à toute chose et l’incompréhensible antagonisme entre les éléments de la grande unité. Pour lui, réconcilier l’action et la contemplation, le bien et le mai, l’obscurité et la lumière, la chair et l’esprit, était pour l’homme le seul moyen de les dépasser et d’atteindre Dieu.
  2. En réalité, la guerre entre Turcs et Grecs qu’il évoque dans son œuvre prend d’autres dimensions ; elle devient le bien et le mal, les ténèbres et la lumière, Dieu et le Diable. Capétan Mihalis combattait l’occupant ottoman. Nikos Kazantzaki combattait un autre occupant, la méchanceté, l’ignorance, la peur, les idées brillantes et fausses des idoles.
  3. Dans un entretien à la Radio française en 1957, il précise cette idée de dépassement. En effet, il y distingue trois sortes de romans:
le roman style « grand magasin ». Ce roman échappe aux lieux et aux temps parce qu’il flotte dans l’air, sans racines ; il est savamment cuisiné sur des recettes internationales ;
le roman régional ou national ; celui-ci a des racines dans son pays ; il exprime la façon particulière de penser, de sentir, de vivre et de mourir d un peuple particulier. Ces romans sont comme les monuments locaux d’un pays ; ils sont précieux parce qu’ils peuvent enrichir notre esprit et notre sensibilité ;
lorsque ces romans nationaux arrivent à passer les frontières nationales pour atteindre l’homme de toutes les nationalités, alors nous avons la troisième sorte de roman, la plus élevée.

Approfondir l’homme de son pays jusqu’à ce qu’on atteigne l’homme sans étiquette, français, grec ou chinois, l’homme tout simplement, voilà quelle doit être l’ambition suprême du romancier.

Ajoutons ceci, très important : on ne peut atteindre l’homme de tous les pays qu’en prenant son essor dans l’homme de son pays.

Dans d’autres textes, Kazantzaki va plus loin. L’intellectuel doit, selon lui, rechercher la « synthèse » entre ses racines, ses traditions et le monde actuel et futur. Aziz Izzet écrit :

La grande aventure de Nikos Kazantzaki a été d’avoir tenté de réaliser une synthèse entre l’Orient et l’Occident, entre la méditation et l’action, entre Bouddha et Platon, ou encore entre le Christ et Lénine. Si Dostoïevski a fait un nouvel Ancien Testament, Kazantzaki a fait le deuxième Nouveau Testament, celui de l’homme d’aujourd’hui qui renferme toutes les possibilités de celui de demain.

Mais laissons Kazantzaki s’exprimer sur ce point dans trois textes significatifs :

-          Nous ne pouvons refuser ni l’Orient ni 1’Occident. Ces deux forces antinomiques sont profondément ancrées au fond de nous-mêmes et elles ne se décollent pas. Voilà notre devoir. Nous sommes obligés soit d’arriver à la distillation de l’Orient avec 1’Occidnu, c’est-à-dire réussir une difficile synthèse, soit d’agoniser comme des esclaves.

-          La vision centrale qui rythme en ces dernières années ma vie et mon œuvre ne m’est pas venue « d’en haut », de connaissances scientifiques et de rêveries métaphysiques, mais « d’en bas », des profondeurs de ma terre.

La Crète… est la synthèse que j’ai toujours essayé de concevoir : la synthèse de la Grèce et de l’Orient. En moi je ne sens ni Occident ni Grèce classique comme un pur « élixir ». Ni le chaos anarchique, ni la résignation aboulique de l’Orient. Tout au contraire, une synthèse ; le moi regardant l’abîme sans se décomposer ; bien plus, ce regard fixé sur la vie et la mort, je l’appelle « crétois ».

Dans un dernier texte, il précise :

-          Avoir le regard crétois ne veut point dire rejeter les civilisations occidentale, orientale ou de la Grèce antique. Cela veut dire faire la synthèse de tout cela sans oublier 1’apport du neuf, et vivre alors une vie nouvelle, plus large, plus héroïque et plus consciente.

Kazantzaki démontre ainsi avec clairvoyance que l’homme doit avoir des racines, mais qu’il doit, en même temps, s’intéresser aux autres peuples et civilisations, aux vraies valeurs, à [sa] « libération spirituelle », comme il écrit, à la nature. Particularité culturelle nationale et universalité, voilà les caractéristiques principales de sa pensée, caractéristiques qui conservent toute leur actualité dans le monde actuel et dans celui de demain.

III. LES RELATIONS DE KAZANTZAKI AVEC LA FRANCE

1. Les séjours

Son premier voyage en France se situe en octobre 1907. Âgé de 24 ans, Nikos Kazantzaki arrive à Paris pour étudier le Droit. Voici comment il décrit, dans Rapport au Greco, ses premières impressions :

Une pluie fine tombait, le jour se levait. Le visage collé contre la vitre de la voiture, j’apercevais, derrière le réseau transparent de la pluie, Paris qui passait, souriait entre ses larmes et m’accueillait. Je voyais passer les ponts, les maisons aux nombreux étages, toutes noircies, les parcs, les églises, les marronniers dépouillés de leurs feuilles, les gens qui marchaient, hâtifs, dans les larges rues luisantes… Tout le visage charmant et joueur de

Paris je le voyais, à travers les fils suspendus de la pluie, sourire dans une lueur voilée, comme on le voit, à travers les fils de son métier, le visage de 1’ouvrière qui tisse.

Il reste à Paris jusqu’en février 1909 et fréquente le Collège de France où il suit les cours de Bergson. Il se rend également à la Sorbonne. Il écrit plusieurs articles dans les journaux grecs. C’est à Paris qu’il fait sa première rencontre avec l’œuvre de Nietzsche.

C’est dans la capitale française, qu’il écrit plusieurs romans, essais et pièces de théâtre. Son séjour d’étudiant à Paris constitue sa première « rencontre » avec la France et le peuple français. Il apprend beaucoup dans plusieurs domaines et admire ce pays, où il effectuera pâr la suite plusieurs séjours. En 1947 et 1948, il travaille à l’UNESCO, à Paris. Il rencontre plusieurs personnalités, notamment Léon Blum, Roger Gallois, Jean-Paul Sartre et le duc de Broglie.

En juin 1948, Nikos Kazantzaki s’installe à Antibes où il demeurera durant neuf ans, jusqu’à sa mort. Il aimait y vivre. Dans ses lettres, il le répète souvent. Son épouse Eléni en parle avec émotion dans son livre Le Dissident. C’est à Antibes qu’il écrit successivement la plupart de ses romans.

C’est à Antibes, également, qu’il reçoit des hommes de lettres, des artistes, des musiciens, des personnalités politiques ainsi que des traducteurs de ses œuvres venus de plusieurs pays européens, asiatiques et latino-américains. L’écrivain aimait se promener le long du rivage (quand les touristes étaient partis), dans les bois de la Garoupe, ou bien encore sur les hauteurs d’Antibes et de Cannes ; voyageant souvent, c’est chaque fois avec plaisir qu’il retrouvait son foyer, son « cocon » (« koukouli ») d’Antibes.

Peu impliqué dans la vie locale, Nikos Kazantzaki participait parfois aux activités culturelles, Son nom figure d’ailleurs parmi les donateurs du Musée Picasso à Antibes.

2. Son amour de la culture française

Il s’est manifesté de plusieurs manières :

a) Études dans l’île de Naxos

En 1897, en raison de la répression des Turcs à la suite du soulèvement des Crétois, sa famille l’inscrit à l’Ecole française catholique romaine, à Naxos. Il a 14 ans ! C’est un excellent élève. Il décrit dans le Rapport au Creco son séjour sur cette île et dans cette école. Ce fut son premier contact avec la culture française. Il apprend le français, lit des auteurs français, notamment des poètes.

b) L’utilisation de la langue française

Il aimait s’exprimer en français. Dans sa correspondance en grec ou en anglais, il citait souvent des phrases ou des mots français. Examinons de manière plus détaillée ce point.

Textes écrits directement en français : Toda-Raba, Moscou a crié ; Le jardin des rochers ; Le Père, écrit en 1929. Il l’a déchiré mais s’en est inspiré pour écrire Le Capétan Mihalis (La liberté ou la mort).

Œuvres traduites en français par Nikos Kazantzaki : Julien l’Apostat, Melissa et Thésée.

Adaptations en français par Nikos Kazantzaki : En 1932, il adapte sa tragédie Nicéphore Phocas et la comédie du Cardinal Bibbiena Calandria avec l’espoir que Louis Jouvet (dont il avait fait la connaissance) allait l’interpréter.

Traductions en grec de textes français et francophones : Cocteau, C. A. Laissant, H. Bergson, M. Maeterlinck (auteur belge), A. Daudet, J. Verne (huit livres).

c) Écrits (en grec) de Kazantzaki sur des écrivains et savants français

En 1913, il fait connaître au public grec Bergson et Flaubert.

Entre 1927 et 1931, il publie dans l’Encyclopédie grecque Flefthéroudakis un nombre impressionnant de notes sur des savants, écrivains et poètes français. Un travail considérable !

Il aimait beaucoup les auteurs français. Citons, en particulier, Bergson, Camus, Chateaubriand, Claudel, Hugo, Lamartine, Malraux, Martin du Gard, Mauriac, Montherlant, Musset, Racine, Rousseau, Sartre, et surtout le poète Valéry.

Voici les propos de Kazantzaki sur quelques écrivains et poètes français :

-          Sur Gide : « … c’était un grand styliste, un maître écrivain mais pas un grand écrivain. Son influence morale sur la jeunesse française a été néfaste. La forme de son œuvre est parfaite. Mais je n’en aime pas du tout lé contenu ».

-          Sur Claudel : « En France, il reste encore un grand vieillard, Claudel. Après sa mort plus que des épigones. »

-          Sur Mauriac : « … toujours au premier rang du combat pour l’humanité ».

-          Sur Malraux : « … non seulement il a écrit de très beaux romans, mais c’est quelqu’un ».

Dans un entretien au journal des Jeunesses littéraires de France (automne 55), il déclare :

* Qui aimez-vous plus particulièrement parmi nos écrivains ?

- Ne vous étonnez pas de mes choix un peu… hétéroclites peut-être. Mais je raffole de contradictions. Ainsi, j’aime énormément Montaigne et Pascal. Ce sont des stylistes étonnants. De même, Saint-Simon, Montesquieu. D’ailleurs, j’aime tout le 18e siècle français, toute sa grâce et son esprit. C’est pour moi, le miracle français. A mon avis, c’est l’un des grands moments de votre histoire. Du moins, pour mon goût personnel.

* Ce choix vous fait honneur. Et parmi les contemporains ?

- J’admire beaucoup Malraux, Saint-Exupéry, Montherlant. J’aime tout particulièrement Mauriac : quel romancier extraordinaire ! En poésie, je voue un culte spécial à Valéry. Il est le sommet, la fin d’une civilisation. Trop fin peut être, trop raffiné. C’est une fleur sans semence. Sur le plan strictement humain, il y a deux hommes que je place au-dessus de tous les autres, sans réserves. Ce sont Einstein et Schweitzer.

A propos d’Henri Bergson, il écrit, et je conclus sur ce point :

A plusieurs questions que je me posais dans ma jeunesse, c’est Bergson qui m’a donné la réponse. Je lui suis vraiment très reconnaissant, ainsi qu’envers la France qui a affranchi ma vie intellectuelle de plusieurs problèmes qui me tracassaient.

III. L’ATTACHEMENT DE KAZANTZAKI À L’ORIENT

L’Orient a toujours constitué pour Kazantzaki une sorte de fascination. Il en parle avec amour et admiration. Pour Kazantzaki, l’Orient comprenait l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, la Russie et l’Asie.

À l’aide de ses écrits et de témoignages, j’essayerai de présenter cet amour en développant les points suivants :

  1. Les liens héréditaires
  2. Les voyages
  3. Les écrits
  4. Les raisons de l’attirance
  5. L’importance et l’avenir de l’Orient

1. Les liens héréditaires

Kazantzaki était persuadé qu’il avait des origines arabes et africaines.

Voici comment il décrit ses origines dans son livre Rapport au Greco :

La famille de mon père descend d’un village à deux heures de Mégalo Kastro, qui s’appelle les Barbares. Quand l’empereur de Byzance Nicéphore Phocas eut repris, au Xe siècle, la Crète aux Arabes, il parqua dans quelques villages tous les Arabes qui avaient échappé au massacre, et ces villages furent appelés les Barbares. C’est dans un de ces villages qu’ont pris racines mes ancêtres paternels, et ils ont tous des traits de caractère arabes : fiers, têtus, parlant peu, écrivant peu, tout d’une pièce. Ils accumulent en eux pendant des années la colère ou l’amour, en silence, et brusquement le démon s’empare d’eux et ils s’éclatent, déchaînés. Le bien suprême n’est pas pour eux la vie, mais la passion. Ils ne sont pas bons, ni accommodants, leur présence est pesante ; ils demandent beaucoup, non pas aux autres, mais à eux­-mêmes……

En 1927, en voyage au Mont Sinaï, il écrit :

Je me plais à penser que mon sang n’est pas purement grec et que je descends un peu des Bédouins. Probablement, quelque vieil ancêtre, suivant le croissant et le drapeau vert du Prophète s’embarqua-t-il dans une des galères arabes parties d’Espagne à la conquête de l’île où coulent le miel et le lait : la Crête.

2. Les voyages

-          La première fois que Kazantzaki a voyagé dans un pays d’Orient, ce fut au Caucase, de juillet à août 1919. Directeur général du Ministère de l’Assistance publique, il fut envoyé en Géorgie et en Arménie par le Premier Ministre grec, Elefthérios Venizélos, pour rapatrier les Grecs chassés par les Bolcheviques et les Kurdes. Dans ses livres et sa correspondance, il donne peu de descriptions des paysages, des monuments, des peuples caucasiens. Il est vrai qu’il a été très choqué par la détresse des Grecs qu’il a rencontrés. Le reste était secondaire.

-          Entre 1925 et 1929, il visite l’Union Soviétique (Russie, Ukraine, Caucase, Asie centrale).

-          En 1926, il visite la Palestine, l’Égypte et le Mont Sinaï. Il est ébloui. Il se sent chez lui.

-          En 1935, il se rend au Japon et en Chine. En 1957, il effectue le dernier voyage de sa vie en Extrême-Orient : Japon et Chine.

Il désirait se rendre au Tibet et en Inde, invité même par Nehru. Il n’a jamais pu réaliser ce rêve pour des raisons de santé.

3. Les écrits

On trouve dans plusieurs de ses écrits un grand nombre de références à l’Orient.

Poésie : L’Odyssée : quelques parties de cette œuvre monumentale sont inspirées de l’Orient ou écrites dans un pays asiatique ou africain ; Tertsines : des chants sont dédiés à Bouddha, Genghis Khan, le prophète Mohammed.

Romans : Toda-Raba, Moscou a crié, Le Jardin des rochers.

Théâtre : Bouddha.

Scénario : Le prophète Mohammed.

Voyages : En voyageant : Italie, Égypte, Sinaï, Jérusalem, Morias et Japon-Chine.

Correspondance : Dans plusieurs lettres adressées à des proches et à des amis, il décrit clairement son amour de l’Orient.

4. Les raisons de l’attirance pour l’Orient

Qu’est-ce qui attirait le plus Kazantzaki en Orient ? S’agissait-il d’un choix idéologique, littéraire et poétique, sentimental ? À partir d’extraits de ses œuvres et de sa correspondance, je peux apporter quelques éléments de réponses.

La nature et les peuples

Les parfums, les fruits, l’eau, le sel, le feu, la lumière, le désert, les populations rencontrées, voilà quelques références fréquentes dans l’œuvre de Nikos Kazaritzaki. Quelques citations :

….. et quand un jour je suis entré dans le désert d’Arabie, monté sur un chameau, et que j’ai rencontré 1’étendue infini, désespérante de sable jaune, rose, bleu vers le soir, qui ondulait devant moi sans porter la moindre trace humaine, une ivresse étrange s’est emparée de moi et mon cœur a poussé un cri, comme l’épervier qui revient, après des années, des milliers d’années, à son nid.

Plus tard, j’ai décelé d’autres traces sur le sable qui allaient me permettre, en les suivant, d’arriver à mes ancêtres : le feu et l’eau. Quand je vois un feu brûler inutilement, je me dresse d’un bond, inquiet, je ne veux pas le voir gaspiller ; et quand je vois un robinet couler sans qu’il n’ y ait de cruche à remplir, ni d’homme qui veuille boire, ni de jardin à arroser, je cours le fermer.

……………

Ah, mon Dieu, quand pourrons-nous faire ensemble ce merveilleux circuit de l’Égypte ? C’est cela l’Orient, tel que nous l’aimons, plein de lumière, de parfums et de cendres d’innombrables générations passées qui ont souffert, aimé et disparu.

Et comme tous les Orientaux, les Maures conciliaient les contrastes qu’accepte difficilement l’esprit occidental : l’amour de la vie, des clames festins, des caresses indolentes et la sauvage manie de la guerre.

Poètes et savants orientaux

Kazantzaki se réfère souvent à des savants et penseurs orientaux, musulmans et indiens. Il aime, notamment, Mirza Abd-ul-Bider, Gandhi, Tagore, Bouddha.

Monuments et villes

En voyage en Asie soviétique et dans le Caucase, Kazantzaki note :

Nous sommes entrés au Kazakhstan. Les neiges mais j’ai vu un cavalier monté sur un cheval noir galoper comme dans un désert de sable. Soudain dans un village, à ma droite, j’ai aperçu la coupole verte d’une mosquée. Mon cœur a bondi de joie nous étions en pays musulman.

……………

Samarkand : « Je me trouve dans une ville de conte de fées, une ville des Mille et Une Nuits. À l’aube, j’ai entrouvert le rideau du compartiment. Au-dehors la plaine, des amandiers en fleur ! Du soleil, de la chaleur, des arbres bourgeonnants, des jardins et des eaux, des Musulmans aux djellabas multicolores, aux couvertures de couleur, de bons petits ânes, des chameaux. Il est midi et j’erre le bazar est magnifique, musulman, une foule bariolée, des visages mongols, des femmes à férétjé opaque et tout autour de merveilleuses ruines, tout en majolique vert et bleu saxe, comme à Érivan. Le tombeau de Tamerlan, de Bibi Hanoun, au centre de la ville à proximité du bazar. Parfois un splendide minaret, une coupole de turquoise. Tout autour des hommes en loques bariolées, rumeur, boue, parfum exquis de l’amandier en fleur et en même temps puanteur insupportable d’eau stagnante et d’urine. La ville, avec sa couleur asiatique, est infiniment plus belle que Jérusalem. Ici c’est le cœur de l’Orient. Samarkand a été pour moi 1 révélation d’un Orient chaud, coloré. »

Boukhara « a quelque chose de classiquement oriental : la 1igne, la couleur, la discrétion. Elle est trois fois charmante pour une âme qui aime le désert. »

……………

5. L’importance et l’avenir de l’Orient


 « …… je ne suis pas fait pour l’Europe…
, écrit Kazantzaki, l’Orient ! Une promenade autour du Tigre et de l’Euphrate, une montée au Tibet, une excursion en Afrique centrale. C’est là que se trouvent les grandes richesses, c’est là que se trouvent des milliers de vers et subsistent des rangées comme des bananes. Il faut, Il faut que j’y aille.

……………

« L’Europe a vieilli. Nous ne devons l’écouter. »

Dans Toda-Raba, Kazantzaki écrit :

Mais cette jeune danseuse musulmane de Bakou, avec sa danse immobile, lui donnait la volupté suprême, l’essence de la danse, le sommet inamovible de la flamme. Il se tourne ; Azad à côté de lui, pleure ; les Européens sourient, ironiques et ennuyés. Pour la première fois, Géranos sent si intensément l’abîme qui sépare l’âme orientale de celle d’Occident. Deux hommes qui trépident et pleurent pour la même danse sont des frères ; tous les autres sont des infidèles et des ennemis.

À l’occasion d’une rencontre avec un écrivain géorgien, Kazantzaki écrit :

- Dans la conscience occidentale prédomine l’élément individuel ; dans celle de l’Oriental, la sensation de l’union profonde avec l’univers. L’Occidental est délivré du grand Tout ; le cordon ombilical entre lui et l’Univers est coupé ; à force d’appauvrissement et d’orgueil, il est devenu une monade qui raisonne, c’est-à-dire trace des fossés autour d’elle et s’isole. L’Oriental, au contraire, est hybride ; il vit et s’agite, lié avec le Tout. Le Père prédomine chez l’Oriental, le Fils chez l’Occidental. Mais le mariage sacré s’annonce, déjà entre l’Asiate perdu dans le Tout et l’Europe individuelle et raisonnante.

Kazantzaki voyait l’avenir du monde oriental, en particulier musulman, de manière très optimiste.

Il partait de plusieurs constatations :

Pour les avoir de leur côté, les Européens ont appris aux peuples de l’Orient qu’ils avaient des droits et que, s’ils les aidaient, ils auraient la liberté.
Fréquentant les Européens, les Orientaux ont pu mieux connaître leurs habitudes, leurs faiblesses. Ils ont commencé à ne plus avoir peur d’eux.
Retournant dans leurs pays, instruits, ils ont commencé à revendiquer.

À ces constatations, Kazantzaki ajoutait deux autres faits essentiels :

Premièrement : tout événement, d’où qu’il survienne sur Terre, a des conséquences partout dans le monde, y compris dans le monde oriental.

Deuxièmement : la Russie influençait le bouillonnement révolutionnaire dans les pays orientaux et musulmans.

Partant de ces données, voici comment Kazantzaki prévoyait l’avenir du monde oriental :

Les peuples commencent à exploiter leurs richesses, à ouvrir des commerces, à construire des usines, à ouvrir des banques. Une nouvelle bourgeoisie se crée, elle devient méfiante, voire hostile, vis-à-vis de l’Occident.

Et Kazantzaki concluait :

L’avenir appartient aux peuples qui ont à la fois ces deux capitaux : des moyens techniques modernes, une foi. Je ne veux pas dire une religion, mais en général un sentiment essentiel et profond.

L’Europe a les premiers. L’Orient a la seconde. L’Orient, après la guerre, a commencé à s’initier à la technique et à s’organiser. L’Europe se désagrège et perd de plus en plus sa foi. La nouvelle guerre mondiale qui se prépare va sans doute achever de la désagréger. Et alors le destin du monde se déplacera d’Occident en Orient.

*** *** ***

(Conférence donnée au Centre Culturel français de Damas le 20 octobre 2001)

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