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Répression
Toute action directe non-violente est un défi aux
pouvoirs établis. De ce fait, elle conduit le plus souvent à un affrontement
avec le pouvoir de l’État. Et il est dans la logique de ce pouvoir, dès
lors qu’il se trouve contesté, de se défendre par les moyens qui lui sont
propres, c’est-à-dire les moyens de contrainte que la loi lui offre pour
sanctionner les citoyens récalcitrants. Et chaque fois qu’il l’estimera nécessaire,
il n’hésitera pas à recourir à la violence pour rétablir « l’ordre ». Un mouvement de résistance non-violente doit donc
faire face à la répression par laquelle les pouvoirs auxquels il s’oppose
tentent de le neutraliser et de le briser. Contrairement aux idées reçues, un
mouvement non-violent est probablement mieux « armé » qu’un
mouvement violent pour affronter cette répression. Si les résistants utilisent
la violence, ils risquent fort de créer dans l’opinion publique un débat qui
ne portera pas tant sur l’injustice qu’ils combattent que sur la violence
qu’ils commettent. Les médias ne parleront pas tant des motivations
politiques qui ont inspiré leur action que de leurs méthodes. Et, selon toute
vraisemblance, elles en parleront pour les condamner. Par contre, dans le
contexte d’une lutte non-violente, la répression met en évidence les véritables
données et enjeux du conflit. Recourir à la violence, c’est offrir à ses
adversaires les arguments dont ils ont besoin pour justifier leur propre
violence. Ceux qui utilisent la violence sont acculés à une position défensive
qui les oblige à se justifier devant l’opinion publique qui leur demande des
comptes. Or, la répression mise en œuvre contre des acteurs non-violents qui défendent
une cause juste par des moyens justes apparaît dans toute sa brutalité et
reste sans justification. Elle a toute chance de discréditer auprès de
l’opinion publique ceux qui l’exercent et de renforcer l’audience de ceux
qui la subissent. Le recours aux méthodes de l’action non-violente opère un
renversement des rôles : cette fois, ce sont les pouvoirs publics qui sont
acculés à une position défensive ; ce sont eux qui doivent justifier
leur violence. L’action non-violente vise à placer le pouvoir
adverse dans un dilemme de telle sorte qu’aucun des choix qui se présentent
à lui ne puisse tourner à son avantage : ou bien il laisse agir les résistants,
ou bien il décide de recourir à la répression pour leur barrer la route. La
première option présente l’inconvénient de laisser le champ libre aux résistants
et de leur permettre d’occuper le terrain à leur avantage, mais la seconde a
l’inconvénient de mettre le pouvoir dans ses torts aux yeux de l’opinion
publique et de permettre au mouvement de fortifier ses positions. Il est tellement plus facile aux tenants du pouvoir de
réprimer une action violente que de faire face à une action non-violente que,
souvent, il n’hésitera pas à tenter de déclencher lui-même la violence en
envoyant des « agents provocateurs » à sa solde. Il importe que les
résistants ne leur répondent pas et s’efforcent de les confondre afin que
l’initiative du pouvoir se retourne contre lui. La répression s’inscrit ainsi dans la logique du développement
d’une campagne d’action non-violente. Il faut donc compter avec elle et se
préparer à l’affronter. Il doit être bien clair que le déclenchement de la
répression – et celle-ci peut être des plus brutales – ne signifie pas
l’échec de la résistance. Dès lors que le conflit comporte un enjeu majeur,
un mouvement de résistance non-violente ne peut exclure de devoir compter ses
morts. Il lui faut estimer le plus exactement possible à quelles mesures de répression
il s’expose en agissant. La prudence lui commande de ne pas encourir des
risques inconsidérés et de ne provoquer que la répression qu’il peut
assumer. Il lui faut garder l’initiative en choisissant en quelque sorte la répression
qu’il devra affronter. Le mouvement doit être capable de subir les coups de
la répression sans en être détruit. Comme dans un combat au corps à corps,
l’essentiel pour un mouvement non-violent est de ne pas être déséquilibré
par les mauvais coups de l’adversaire, de les esquiver, d’être en mesure de
les parer et, le cas échéant, de savoir les « encaisser » tout en
restant capable de reprendre l’offensive. Le mouvement pourra d’autant mieux supporter la répression
que ceux qui transgressent l’ordre établi seront plus nombreux. La répression
perd d’autant plus de force qu’elle doit frapper un plus grand nombre de résistants.
Si une proportion significative de citoyen(ne)s est prête, ayant surmonté
toute peur, à aller en prison – mais il ne s’agit pas d’espérer une
majorité –, la répression peut s’avérer inopérante et la résistance,
alors, peut envisager la victoire. Cette proportion peut être d’autant plus
faible que la société est davantage démocratique, car elle est fonction de la
capacité de l’opinion publique à exercer une réelle pression sur les
pouvoirs publics. Les militants qui subissent des sanctions financières,
perdent leur emploi ou se retrouvent en prison doivent pouvoir compter sur la
solidarité agissante de l’ensemble du mouvement. Il est nécessaire que ces
militants et leurs familles puissent aussitôt bénéficier d’une aide
appropriée à leurs besoins et il est de la responsabilité du mouvement
d’organiser cette solidarité. Un mouvement de résistance non-violente ne doit pas
seulement affronter la répression de la loi, il doit également faire face aux
représailles qui peuvent s’exercer en dehors de la loi. Les adversaires du
mouvement ne se contentent pas toujours des mesures prises par le gouvernement
et peuvent s’organiser pour le combattre directement. Dans certains cas, le
gouvernement lui-même ou des individus et des groupes proches de lui peuvent
favoriser ces représailles, voire même les organiser. Si « l’avantage »
de la répression est qu’elle s’exerce à visage découvert, au grand jour,
l’inconvénient des représailles est qu’elles s’exercent à visage masqué,
dans l’ombre. De ce fait, elles risquent d’être plus dangereuses pour le
mouvement et de mettre durement à l’épreuve sa détermination et sa capacité
de résistance. Le moment où la répression devient la plus dure est
décisif pour l’avenir de la lutte. Si le mouvement ne parvient pas à la
surmonter, s’il s’essouffle sans parvenir à reprendre sa respiration, il
peut mourir étouffé. Il faut être conscient que la violence de la répression
peut faire échec à la non-violence de la résistance. En revanche, s’il est
capable de tenir tête, alors il est probablement tout prêt de la victoire. Car
si la répression ne peut parvenir à briser le ressort du mouvement, les
autorités n’ont plus d’autre issue que de négocier une solution au
conflit. Cependant, il est des situations extrêmes où le
rapport de force entre la dissidence et l’État donne à celui-ci un
pouvoir de répression policière et militaire qui peut être dissuasif par
rapport à toute action de résistance ouverte. Dans ce cas, la marge
d’initiative laissée aux opposants peut être tellement réduite qu’aucun
mouvement de résistance ne peut être organisé sur la place publique.
L’opposition n’a alors d’autre choix que de s’organiser dans la
clandestinité en espérant pourvoir créer une nouveau rapport de force qui
leur permette de prendre l’offensive. Clandestinité
Torture
Police
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