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Torture

Au nom d’un réalisme qui prétend rechercher une efficacité immédiate, les États n’ont généralement pas hésité à pratiquer la torture contre ceux qui se rebellaient ouvertement contre leur autorité, surtout lorsqu’ils n’hésitaient pas à recourir à la violence. La torture a été également largement pratiquée au cours des guerres. L’argument avancé pour justifier une telle pratique est qu’elle serait le seul moyen d’obtenir des renseignements en évitant que de nouveaux actes de violence soient perpétrés et en permettant ainsi de sauver des vies humaines. Faut-il prendre en considération un tel argument ? Faut-il, au regard de ce critère, reconnaître la légitimité d’une telle pratique ?

En réalité, la torture est expressément condamnée par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Après avoir affirmé en son article 3 que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », celle-ci déclare en son article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Plus rigoureusement encore, la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984 affirme : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. » « Le terme torture, précise cette résolution, désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir des renseignements ou des aveux. »

Le droit international affirme donc qu’en aucun cas, quelle que puisse être son « efficacité », la torture ne peut être légitime. Et cette condamnation ne veut avoir d’autre justification que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables » (Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme). Ainsi, les États reconnaissent que le respect de la dignité inhérente à la personne humaine interdit de recourir à la torture, sans que l’on puisse jamais faire valoir qu’elle serait un « moindre mal » ou un « mal nécessaire ». Au regard même du droit international, le refus de la torture est un impératif moral catégorique auquel nulle circonstance ne justifie qu’on contrevienne. En définitive, sur ce point précis, la morale des États, du moins telle qu’elle est affichée, est une « morale de conviction » : même si la torture est « efficace », elle est encore criminelle. Le mal que constitue la torture est tel que le bien que l’on pourrait en attendre ne saurait la justifier. En toutes circonstances, l’exigence morale commande de refuser la torture, quelles que soient les conséquences de ce refus. Le supplice infligé à un homme sans défense est la négation même de l’humanité de l’homme, et d’abord de celle du tortionnaire. Pour l’homme-philosophe, la torture n’est pas interdite : elle est impossible, parce qu’elle est tout simplement impensable.

Au demeurant, l’efficacité immédiate que l’on peut attendre de la torture risque fort de s’avérer illusoire. Car, à moyen terme, plutôt que de démoraliser l’adversaire, elle peut bien plutôt avoir pour effet de le mobiliser davantage dans la lutte à mort dans laquelle il s’est engagé et de compromettre gravement l’avenir de la paix que l’on prétend rechercher. En « tordant » (le mot torture vient du latin torquere, tordre) les corps de quelques-uns, on ne peut que s’aliéner les consciences de tous. En définitive, il apparaît que la « morale de responsabilité » rejoint « la morale de conviction » pour commander le refus de la torture.

Il ne saurait suffire que les textes qui disent le droit international affirment que la torture est en toute circonstance une violation caractérisée des droits de l’être humain pour que les États renoncent effectivement à la pratique de la torture. L’expérience montre au contraire qu’en de nombreuses circonstances, aujourd’hui comme hier, au nom du « réalisme » et de l’« efficacité », la raison d’État n’hésite pas à congédier le droit pour justifier la torture, aussi bien à l’encontre des ennemis intérieurs que des ennemis extérieurs. Il importe que les citoyens soient particulièrement vigilants par rapport à cette dérive toujours possible des États.

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