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Obéissance
L’homme qui exerce la violence se trouve généralement
non seulement inséré, mais enserré dans des relations de domination et de
soumission, de commandement et d’obéissance. C’est le plus souvent en obéissant
aux ordres du pouvoir supposé légitime de la collectivité à laquelle il
appartient que l’individu commet des actes de violence. Généralement,
c’est par discipline que l’homme devient tueur, c’est sur ordre qu’il
devient tortionnaire. Pour le sujet obéissant, le commandement universel de la
conscience morale « Tu ne tueras point » se trouve nié, effacé par
le commandement du pouvoir : « Tu tueras ». De nombreuses expériences ont montré que l’homme
était capable d’infliger des violences particulièrement cruelles à
d’autres hommes sans défense, sans autre motivation que la soumission au
pouvoir. L’obéissance aux injonctions et aux ordres du pouvoir est l’un des
facteurs principaux du comportement humain. Parmi toutes les règles sociales
intériorisées par l’individu dès son plus jeune âge, le respect du pouvoir
tient une place centrale et prépondérante. Tout concourt, dans son éducation,
à convaincre l’enfant que l’obéissance est un devoir et une vertu et que,
par conséquent, la désobéissance est une mauvaise action et une faute. Cependant, ce conditionnement n’est jamais total et,
en devenant adulte, l’homme acquiert une relative autonomie personnelle en se
donnant certaines règles de conduite en fonction de certains critères éthiques
qu’il a lui-même choisis. Mais dès qu’il se trouve incorporé dans une
organisation hiérarchisée, son mode de comportement se trouve profondément
changé. Il risque alors de perdre l’essentiel de ses acquis personnels ;
sa vie intellectuelle, morale et spirituelle peuvent subir une régression
majeure. L’individu se trouve placé dans une situation de dépendance par
rapport aux autres membres de la collectivité et, plus encore, par rapport
au(x) chef(s). Dans la soumission de l’individu au pouvoir il
existe une part de contrainte, qui résulte de multiples pressions, et une part
de consentement – et il est très difficile de dire quelle est la mesure
exacte de chacune d’entre elles. La propension de l’individu à la
soumission se trouve fortement renforcée par les récompenses qui honorent
l’obéissance et les punitions qui sanctionnent la désobéissance. L’homme exerçant la violence par obéissance au
pouvoir prétend généralement qu’il se contente de « faire son devoir ».
Il ne veut considérer que la valeur morale indiscutable de cette règle de
conduite en s’efforçant d’occulter l’immoralité de ses actes. La valeur
morale attribuée à l’obéissance prédomine sur l’immoralité de
l’ordre. Le sujet peut alors se convaincre qu’il fait bien d’obéir, même
si ce qu’il fait est mal. Et pendant qu’il obéit, il est avant tout préoccupé
par le souci d’exécuter comme il faut l’ordre reçu, de manière à
satisfaire l’autorité qui lui fait confiance. L’occupation « technique »
tend à effacer chez le sujet obéissant toute préoccupation éthique. L’obéissance instrumentalise celui qui se soumet
aux ordres du pouvoir. Le sujet obéissant s’en remet au pouvoir pour décider
de sa conduite et de la légitimité de celle-ci. Pour l’individu soumis, la légitimité
de l’ordre donné est fondée sur la légitimité du pouvoir, et la légitimité
de l’acte commandé est fondée sur la légitimité de l’ordre. Celui qui obéit,
parce qu’il agit sous le couvert du pouvoir, ne se sent pas responsable des
conséquences de ses actes. Il en attribue toute la responsabilité au pouvoir
lui-même. Ainsi l’homme est capable de renoncer à tout jugement sur sa
propre conduite sous prétexte d’obéir aux ordres de ses supérieurs. L’homme trouve dans la soumission une certaine sécurité
qu’il devrait quitter s’il empruntait les chemins abrupts de la désobéissance
ouverte. Tout d’abord, l’obéissance garantit à l’individu de rester intégré
au groupe, à la communauté, à la société. Rompre avec le pouvoir, c’est
s’exclure soi-même de la collectivité dans laquelle on trouve les moyens de
vivre dans un relatif confort ; refuser d’obéir, c’est s’exposer sûrement
à subir tous les désagréments de l’excommunication et de l’exclusion.
Ensuite et surtout, en se soumettant au pouvoir, l’individu a le sentiment
d’être protégé par lui. Plus que cela, il a en quelque sorte le sentiment
de participer lui-même au pouvoir auquel il se soumet. Dès lors, rompre avec
le pouvoir, c’est se retrouver soi-même sans pouvoir, seul, abandonné,
faible, impuissant, du moins jusqu’à ce que le pouvoir soit défait, ce qui
peut demander beaucoup de temps. Et nul n’a l’assurance de survivre au
pouvoir qu’il conteste et qui s’apprête à le briser. Cependant, au regard
de l’exigence morale, il ne peut y avoir aucun doute : lorsqu’il y a
conflit entre l’exigence de la conscience et l’obligation du commandement,
l’individu doit refuser d’obéir. Ce n’est pas l’obéissance qui est la
vertu cardinale du citoyen, mais la responsabilité. Il se peut que la
responsabilité l’invite à l’obéissance, mais il se peut également
qu’elle lui demande de désobéir. L’objection de conscience est alors la
seule voie qui permet à l’individu de préserver son autonomie, sa
responsabilité, sa liberté et sa dignité. Objection
de conscie
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