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Usurpation
civile
Plutôt que de cesser toute activité, de faire grève
ou de démissionner, il peut être plus efficace, pour mettre en échec un
pouvoir illégitime – qu’il soit national ou étranger – de le subvertir
de l’intérieur en restant à son poste de travail pour saboter les
instructions venues d’en haut. Dans le cadre d’un mouvement de résistance
organisé, l’usurpation civile consiste pour les fonctionnaires des
administrations et des services publics, pour les employés des établissements
privés et, plus largement, pour l’ensemble des citoyens, à continuer
d’occuper leurs postes dans le cadre des structures, des institutions et des
entreprises existantes pour tenter de les faire fonctionner contre le pouvoir en
place et au profit de la résistance. Chacun est invité à résister sur son
lieu de travail en profitant de tous les moyens que sa fonction met à sa
disposition pour les retourner contre le pouvoir illégitime. Dans un premier temps, l’usurpation civile peut être
une méthode indirecte de non-coopération et de désobéissance. Plutôt que de
refuser ouvertement d’obéir aux directives du pouvoir, on feint, par-devant,
de s’y soumettre en faisant en sorte, par derrière, de ne pas les exécuter
et de les faire échouer. Du moins, on les exécute en multipliant les erreurs
volontaires ; on les exécute littéralement « de travers », en
sorte qu’elles se trouvent détournées de leur but. Il est ainsi possible
d’organiser une non-coopération effective qui se cache derrière une
acceptation apparente de la collaboration. Cette désobéissance indirecte présente
deux avantages : elle peut être mise en œuvre avec souplesse et elle évite
de provoquer ouvertement la répression, ou du moins elle la retarde le plus
longtemps possible. Cela facilite à la fois la durée et l’étendue de la résistance. En même temps qu’il s’agit de faire échouer les
projets du pouvoir illégitime que l’on combat, il s’agit de faire réussir
les projets du mouvement de résistance que l’on soutient. Ainsi
l’usurpation civile réalise en une même démarche le programme de non-coopération,
par lequel on refuse de servir un système injuste, et le programme constructif
par lequel on s’efforce de réaliser dans les faits les solutions concrètes
proposées par la résistance. Cependant, il serait illusoire de penser qu’il sera
toujours aisé de biaiser, de ruser et de « cacher son jeu » face
aux représentants du pouvoir. Ceux-ci risquent, plus ou moins rapidement, de découvrir
le « double jeu » des fonctionnaires ou des employés récalcitrants
et de recourir alors aux moyens de répression qui sont à leur portée. En
outre, face à certains ordres, il ne sera possible de leur désobéir qu’en
leur opposant d’emblée un refus clair et net. Un tel acte de désobéissance
civile ouverte qui vient défier frontalement l’autorité du pouvoir établi
ne manquera pas d’être sanctionné et il pourra l’être durement. C’est
pourquoi la résistance ouverte devra être sélective et ne devra s’opposer
qu’à des ordres dont l’enjeu est directement proportionné à la gravité
de la sanction encourue. Il faut donc compter avec les moyens de riposte dont
dispose l’adversaire par lesquels il s’efforcera de mettre un terme à cette
usurpation et de reprendre possession des services administratifs et des
secteurs sociaux qui ont échappé à son contrôle. Cette riposte de
l’adversaire sera plus ou moins efficace selon le rapport de force déjà
existant. Plus le nombre des citoyens engagés dans l’usurpation civile sera
important, plus il sera difficile au pouvoir en place de reprendre le contrôle
de la situation. Si le rapport de force évolue en faveur de la résistance,
l’usurpation civile peut défier de plus en plus ouvertement le pouvoir établi.
Elle devient alors une non-coopération directe. Les fonctionnaires ne sont plus
alors obligés d’apparaître disciplinés et peuvent proclamer ouvertement
leur dissidence. L’ampleur d’une telle usurpation peut déstabiliser un régime
et contribuer efficacement à sa chute. Désobéissance
civile
Non-coopération
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