Programme constructif
Il est essentiel
que la lutte non-violente contre l’injustice ne reste pas prisonnière de ses
dénonciations et de ses condamnations, mais qu’elle puisse élaborer et
expérimenter des projets alternatifs qui permettent de construire la justice. En
même temps que le mouvement de résistance met en œuvre un programme de
non-coopération, il doit mettre en place un « programme constructif ». Celui-ci
consiste à organiser, parallèlement aux institutions et aux structures sociales
que l’on conteste et avec lesquelles on refuse de collaborer, des institutions
et des structures qui permettent d’apporter une solution constructive aux
problèmes posés, et cela sans attendre le règlement définitif du conflit. Plutôt
que de s’en tenir à exiger du pouvoir adverse qu’il apporte une solution juste
au conflit en cours, il s’agit d’entreprendre soi-même d’inscrire cette solution
dans la réalité en apportant la preuve de sa faisabilité. Les résistants non
seulement veulent que « ça change », mais ils commencent déjà à réaliser le
changement pour lequel la lutte a été entreprise. Ainsi, ceux qui refusent de
payer une part de leurs impôts pour protester contre les dépenses militaires
abusives du gouvernement, peuvent décider de redistribuer l’argent récupéré pour
financer des formations à la résolution non-violentes des conflits.
La réalisation du
programme constructif requiert la participation active de ceux-là même qui sont
victimes de l’injustice en les invitant à se rendre eux-mêmes justice. L’action
non-violente ne consiste pas à demander ses droits, mais, pour autant que faire
se peut, à les prendre. Le programme constructif doit permettre à ceux
qui, jusque là, ont été maintenus dans une situation de dépendance à l’intérieur
des structures politiques et économiques de prendre en charge leur propre destin
et de participer directement à la gestion de leurs propres affaires. En outre,
la mise en œuvre du programme constructif permet à de nombreuses personnes qui
ne sont pas prêtes à prendre les risques de l’action directe de se mobiliser et
de s’engager dans la lutte.
Ainsi, par la
réalisation du programme constructif, l’action non-violente ne tient plus
seulement sa consistance de ce à quoi elle s’oppose, mais aussi de ce qu’elle
propose et réalise. Le programme constructif veut montrer que les principes et
les méthodes de la non-violence ne permettent pas seulement de mettre en œuvre
la contestation de la société, mais qu’elle doit permettre d’en assumer
la gestion.