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Éducation
Pour tuer les germes des idéologies qui légitiment
et honorent la violence, il faut s’efforcer d’irriguer toute la société
par une « culture de la non-violence » ; et la culture commence
par l’éducation. Celle-ci a pour ambition principale de préparer les petits
d’homme à devenir philosophes et citoyens. Ils auront par la suite tout le
temps d’acquérir les savoirs professionnels qui leur permettront de devenir
travailleurs. Un projet pédagogique global s’articule autour de
deux pôles : l’instruction et l’éducation. Instruire, c’est
transmettre des connaissances qui constituent un savoir. Celui-ci concerne des
faits et recherche l’objectivité. L’instruction est un renseignement :
elle donne une information scientifique ou technique. L’instruction vise
essentiellement à l’utile. Elle est utilitaire. Elle communique un savoir qui
permet un savoir-faire. Mais si utiles soient-elles, les sciences techniques
sont étrangères aux valeurs qui donnent un sens à la vie. La science ne
permet pas de penser la violence, la souffrance et la mort. La science, non
plus, n’aide à penser la non-violence, la bonté et le bonheur. La science,
en définitive, n’est d’aucun recours pour penser le sens de la vie. C’est une nécessité vitale de permettre à nos
enfants de visiter l’héritage culturel – spirituel, philosophique, littéraire,
artistique… – qui est le nôtre, mais également celui des autres
civilisations. Pendant des siècles, des hommes ont réfléchi aux questions
existentielles que nous nous posons nous-mêmes sur le sens de la vie et de la
mort. Le projet éducatif doit permettre aux enfants de construire leur propre
personnalité et de forger leurs propres convictions en se nourrissant des œuvres
de ceux qui les ont précédés. Si l’instruction apprend un « art de faire »,
l’éducation transmet un « art de vivre ». Et s’il est important
de « savoir » pour « savoir faire », il est essentiel de
« savoir vivre ». Éduquer, c’est enseigner la grammaire
de la vie. Dans l’instruction, le rôle de l’apprenant est surtout
passif : il doit se contenter de « suivre » un cours qui lui
est « donné », d’enregistrer et d’emmagasiner les notions qui
lui sont inculquées. En principe, sauf si l’instructeur se trompe, il n’il
rien à y redire. Il doit se contenter de répéter. L’instructeur est un
« répétiteur ». Dans l’éducation, l’apprenant a un rôle
actif. Il a son mot à dire. L’éducation repose sur une relation interactive
entre le maître et l’élève. L’instruction privilégie l’apprentissage
des savoirs ; l’éducation privilégie la relation avec l’apprenant.
L’instructeur parle aux élèves ; l’éducateur également, mais
il prend le temps de parler avec les élèves. L’« éducation civique » des enfants ne
doit pas constituer un enseignement à part, en quelque sorte marginal, mais
doit être au contraire au centre du projet pédagogique. Elle doit s’efforcer
de favoriser l’autonomie plutôt que la soumission, l’esprit critique plutôt
que l’obéissance passive, la responsabilité plutôt que la discipline, la
coopération plutôt que la compétition, la solidarité plutôt que la rivalité.
Il s’agit bien, en définitive, d’éduquer les enfants à la non-violence ;
mais, pour cela, la première condition est que l’éducation s’inspire
elle-même des principes, des règles et des méthodes de la non-violence :
l’éducation à la non-violence commence par la non-violence de l’éducation.
Il importe d’abord que les adultes respectent l’univers de l’enfant, ne
viennent pas l’envahir et l’occuper en imposant leurs lois et leurs idéologies
de bois. Le petit d’homme n’est pas un petit homme, mais un homme en
devenir. C’est essentiellement ce « devenir » que l’adulte doit
respecter. Une éducation non-violente n’implique pas l’effacement de toute
autorité de l’adulte. Pour structurer sa personnalité, l’enfant a besoin
de se heurter à cette autorité ; et il est dans la nature même de
l’autorité du bon pédagogue de s’exercer par la non-violence. Éduquer (du verbe latin educare, élever),
c’est essentiellement élever le petit d’homme vers la liberté. Il faut
reconnaître que la difficulté est immense. Voilà le grand paradoxe de l’éducation :
éduquer à la liberté le petit d’homme en le mettant non seulement sous
influence, mais sous contrainte. Car l’éducation est contrainte. Et la liberté
s’acquiert, non point certes en subissant la contrainte, mais en la
surmontant. Mais il ne suffit pas de suggérer que toute contrainte n’est pas
violence ; il faut affirmer qu’il n’y a de contrainte éducative que
non-violente. Initier les enfants à la citoyenneté, c’est leur
apprendre le bon usage de la loi en leur faisant comprendre que l’obéissance
demandée aux citoyens n’est pas la soumission passive et inconditionnelle à
l’ordre d’un supérieur hiérarchique, mais l’adhésion réfléchie et
consentie à une règle dont ils reconnaissent eux-mêmes le bien-fondé.
C’est une dimension essentielle de la pédagogie de faire participer les
enfants à l’établissement des règles sociales auxquelles ils devront eux-mêmes
se conformer. Ils doivent eux-mêmes expérimenter qu’elles sont nécessaires
pour qu’ils puissent vivre ensemble dans le respect de tous et de chacun. Préfigurant
les lois de la société, ces règles déterminent les droits et les devoirs de
chacun vis-à-vis des autres en visant à délégitimer la violence. Elles
imposent des contraintes et des interdits qui fixent des limites aux enfants. Lorsque l’autorité de l’éducateur ne peut
parvenir à convaincre l’enfant de respecter les obligations de la loi, il lui
faut recourir à des mesures de contrainte. Il convient donc, pour toute
transgression de la loi, de prévoir une sanction qui soit cohérente avec
l’ensemble du projet pédagogique. Le but de la sanction n’est pas la
punition (du verbe latin punire qui signifie se venger), mais encore et
toujours l’éducation. Elle doit permettre de faire comprendre à l’enfant
qu’il a rompu le contrat qu’il avait lui-même accepté et lui donner la
possibilité de s’investir dans une réparation. La sanction se justifie
d’abord négativement par le fait que son absence, c’est-à-dire l’impunité,
encourage l’enfant récalcitrant à s’installer dans la transgression de la
loi. La sanction n’a pas pour finalité de rétablir l’autorité de l’éducateur,
mais de rétablir la primauté de la loi. La sanction éducative veut permettre au transgresseur
de prendre conscience de la responsabilité de ses actes aussi bien vis-à-vis
de lui-même que vis-à-vis des autres afin de le réconcilier avec lui-même et
avec le groupe. La sanction veut souligner que seul le respect de la loi par
chacun permet de vivre ensemble. Sanctionner, ce n’est pas condamner, ce
n’est pas faire honte, ce n’est pas humilier ; c’est responsabiliser.
Pour cela, l’acte de transgression doit être dés-approuvé sans que la
personne du transgresseur soit condamnée. L’éducateur doit faire preuve de fermeté
– en rappelant les interdits de la loi et en refusant d’admettre les
transgressions –, mais non pas de sévérité. Car sévir, c’est
infliger des sévices, c’est-à-dire user de violence à l’encontre des
enfants récalcitrants (sévir, sévérité, sévices ont la même racine étymologique
et proviennent du verne latin sœvire, user de violence). L’une des tâches essentielles de l’éducation est
de détruire les préjugés discriminatoires à l’encontre des « autres »,
de ceux qui appartiennent à un autre peuple, une autre religion, une autre
culture. Transmettre aux enfants des stéréotypes de l’ennemi, c’est déjà
armer leurs sentiments, leur intelligence et leurs bras, c’est déjà leur
apprendre la guerre. C’est donc une exigence essentielle de la pédagogie de désarmer
le regard des enfants envers les « autres » et, tout particulièrement,
envers ceux dont l’identité sociale est marquée par une différence. Il
s’agit d’éduquer leur regard afin qu’ils se départissent de toute
hostilité envers les « autres-qui-sont-différents » et qu’ils
apprennent à leur égard la bienveillance. Culture
de la non-violence
École
Enfance
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