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L’avenir
du cerveau humain Directeur honoraire de l’École Pratique des
Hautes Études et auteur d’un grand nombre d’ouvrages, le Docteur Paul
Chauchard (1912-2004), connu aujourd’hui comme un des savants du troisième
millénaire, ouvert aux nouvelles perspectives des sciences avec conscience, présente
sa spécialité : la neurophysiologie, par une approche holistique. La compréhension (cum-prehendere) du corps par les
sensations vécues lucidement est une voie libératrice. Une attention sans
tension révèle une éthique fondamentalement différente de celle de la vaine
lutte intérieure ; il s’agit là d’une neuropédagogie, nouvelle
science redécouvrant les démarches traditionnelles des maîtres spirituels de
la non-dualité. Le docteur Paul CHAUCHARD connaissait bien les techniques
orientales. Il était l’ami de Taisen Deshimaru (Zen et cerveau,
Courrier du livre) et enseignait à l’École
de Yoga dirigée par Micheline Flack. C’était aussi un praticien de la méthode
Vittoz. *** La supériorité de l’homme
sur les animaux tient à la complexité de son cerveau, le sommet
d’organisation de la matière. Devant les progrès de la neurophysiologie dans
le domaine des mécanismes des comportements et des niveaux de conscience, il
n’est plus possible de nier la spiritualité humaine, perçue scientifiquement
comme fonction cérébrale, ni de la rattacher à une âme extérieure agissant
– on ne sait comment – sur le cerveau, comme le pensait Descartes. On ne peut plus également séparer
l’homme des animaux ; il ne s’agit plus de l’animaliser en niant sa
supériorité, mais de faire de lui le fleuron de la série animale grâce à
son cerveau. Les animaux ne sont pas des machines mais ont un degré de
conscience lié au niveau de leur cerveau et qui existe même avant le cerveau
chez les unicellulaires comme propriété de la cellule vivante, individu élémentaire ;
une conscience qui, par nature, manquera toujours au robot le plus perfectionné.
L’animal peut avoir certaines supériorités sur l’homme dans la perfection
d’organes-outils l’adaptant à un mode de vie ou à un milieu, donc le
limitant ; la supériorité d’être de l’homme, relativement
primitif par ailleurs, n’est que dans son cerveau, organe pas comme les
autres, qui lui permet d’inventer des outils sans modifier son corps. Une supériorité
cérébrale qui peut désavantager l’homme dans la lutte pour la vie car elle
lui donne la liberté de préférer des conduites mauvaises interdites à
l’animal par la rigidité de ses instincts. La paléontologie nous révèle
l’origine du cerveau humain, faisant de l’homme, cet animal pas comme les
autres, un animal perfectionné. Survolée dans son ensemble, l’histoire de la
vie est une montée vers le cerveau humain, un progrès d’organisation, mystérieux
pouvoir de la vie, dont la nouvelle génétique découvrira les mécanismes matériels
et qui ne saurait s’expliquer par le hasard et la sélection, comme le pensent
les partisans tout-puissants du dogme néo-darwinien. Primate, ayant des ancêtres
communs avec les singes, l’homme ne descend pas du singe. Comme l’a montré
Leroi-Gourhan, on cherchait des « singes à gros cerveau » et on a
trouvé des « hommes à petit cerveau », appartenant à une lignée
humaine distincte que le terme de préhumain, donc humain inachevé, caractérise
au mieux. C’est le progrès du cerveau par stades successifs, qui fait passer
des Australopithèques (mieux Australanthropes) aux Homo erectus, puis à
l’Homo sapiens neandertalensis, pour arriver à l’Homo sapiens
de Cro-Magnon en même temps que progresse la technique, qu’apparaissent culte
des morts et art sacré, indices de réflexion et de spiritualité. Cette évolution est-elle
achevée ? Devant les insuffisances actuelles, certains rêvent d’un
surhomme au cerveau plus riche. Cela semble scientifiquement peu probable. L’évolution
des espèces se fait dans un sens donné, a un but (orthogénie) : celle du
cheval, aboutissant à un doigt unique, ne peut aller plus loin dans cette voie ;
celle de l’homme aboutit au seuil de cerveau permettant réflexion et
spiritualité, atteint certainement avec Cro-Magnon, sinon avant. Il ne
servirait à rien d’avoir un plus gros cerveau. Comme l’a si bien remarqué
Teilhard de Chardin, avec l’achèvement du cerveau, l’évolution biologique
est devenue socioculturelle : apprendre à utiliser mieux son cerveau.
Attendre ou vouloir sa modification c’est revenir en arrière à
l’organe-outil, mécaniser l’homme. Si on peut mettre en doute un
progrès naturel du cerveau humain, par contre, le progrès de la génétique,
cet organe de programmage du cerveau, comme celui de l’électrochimie cérébrale,
dans le contexte de l’orgueil prométhéen de l’esprit scientifique
occidental, rendent possible de se fixer comme but non pas de guérir sagement
un cerveau malade ou de prévenir sa maladie, mais de perfectionner le cerveau
pour faire un surhomme. Paradoxe, car on nous dit que la science ne peut porter
de jugements de valeur ; comment donc savoir ce qui serait progrès et ce
qui serait détérioration ? Comme il serait sage d’être prudent, comme
le demandait J. Rostand. Devant les extraordinaires pouvoirs de la biologie, les
chercheurs eux-mêmes ne peuvent pas dissimuler leur inquiétude : on le
voit dans le domaine des nouveaux procédés de procréation et du sort des
embryons congelés. Mais qui leur donnera des directives quand les comités d’éthique
ne peuvent fonder une certitude unanime dans le respect d’idéologies
discordantes, se contentant de demander qu’on n’aille pas trop vite pour ne
pas choquer l’opinion. Pourquoi cette tentation
d’agir sur le cerveau de l’homme normal ? C’est qu’on nie que
l’homme soit « normal ». Produit de cette évolution biologique
qui lui a permis de dominer la nature, l’homme serait en réalité mal fait,
un raté, un monstre, un fou. C’est la thèse vulgarisée par A. Koestler dans
ses livres aux titres caractéristiques Janus
ou Le cheval dans la locomotive :
ce conflit de l’homme de nature et du technicien, symbolisé par Fourastié
dans l’opposition d’Atala et de Citroën. Les mutations biologiques ont
superposé dans l’encéphale de l’homme un cerveau primitif animal affectif
et pulsionnel et un néocortex, ordinateur lui permettant de s’enfermer dans
des idées, de réfléchir, de développer sciences et techniques. La
cohabitation serait impossible, le cerveau animal détraquant l’ordinateur,
que celui-ci s’efforce de le refouler ou accepte son défoulement. Nous serions ainsi par nature
des malades mentaux, des schizophrènes. Heureusement, les progrès de la
science du cerveau, permettant de guérir précisément les malades mentaux par
thérapeutiques cérébrales, vont pouvoir nous débarrasser de notre héritage
animal. Les moyens sont déjà nombreux et A. Huxley les redoutait déjà dans
son Meilleur des mondes et son moins
connu Retour au meilleur des mondes,
ce qui paradoxalement ne l’a pas empêché, lui qui avait si bien compris le
yoga, de se faire, avec T. Leary, l’apôtre de la drogue. La drogue ? Ce
n’est plus aujourd’hui les morphiniques, la cocaïne, le haschich, le LSD ou
les traditionnels alcool ou tabac ; la majorité des civilisés pour tenir,
ne pas devenir fou dans la vie moderne, est droguée par les psychotropes :
les hypnotiques, les excitants, les tranquillisants, etc. Dans son bilan des expériences
de stimulation cérébrale, Delgado (Le conditionnement du cerveau et la
liberté de l’esprit) montre comment, par télécommande, on peut déclencher
par excitation électrique la fureur du taureau pour ensuite le calmer tout
aussi brusquement. Ce sont aussi les mutilations de la psychochirurgie inaugurées
par Moniz sur des malades mentaux en se fondant sur l’expérimentation animale
de Fulton, ces lobotomies encore pratiquées sur des enfants agressifs qu’on
rend ainsi incapables d’aimer. Va-t-on justifier
l’application à l’homme de tous ces procédés contestables, même en thérapeutique
psychiatrique ? Le cerveau humain normalisé par la police et les
politiciens, la généralisation de la torture scientifique, ce que les
journalistes ont baptisé « sérum de vérité » ou « lavage
de cerveau ». Indignés devant la psychiatrie politique soviétique, on
n’a pas compris combien elle paraît bonne et normale pour celui qui, enfermé
dans une idéologie, juge malades ceux qui s’y opposent. Il ne s’agit pas de nier
l’intérêt thérapeutique des progrès des sciences du cerveau, de prévoir
que les progrès de la génétique et de la neurochimie préviendront la démence
sénile ou le mongolisme. Mais ne serait-il pas plus important de réaliser des
conditions de vie empêchant le vieillissement précoce ou ce qui rend la vie
impossible aux mongoliens, avec des perspectives monstrueuses d’euthanasie
avant ou après la naissance. Précisant que les troubles psychiatriques de
l’enfant ont une origine neurochimique encore ignorée, Debray-Ritzen conclut
que pour le moment on ne peut rien pour ces enfants et traite Bettelheim de
charlatan. Or celui-ci, en mettant ces enfants dans une bonne ambiance
affective, rééquilibre socialement leur neurochimie qui, chez l’homme être
social, est une sociochimie. On ne
sait pas assez que la thérapeutique psychiatrique ne repose pas seulement sur
les thérapeutiques biologiques ou les psychothérapies, mais aussi sur cette troisième voie – plus
humaine –, qui doit s’associer aux thérapeutiques précédentes et qu’on
peut appeler avec Sivadon la « rééducation
corporelle des fonctions mentales ». Rien de plus utile que de bien
comprendre ce dont il s’agit : le mental qui est électrochimie cérébrale
est donc corporel et une thérapeutique prend un aspect pédagogique avec la
seule restriction qu’on ne peut appeler rééducation, ce qui en fait est une
éducation : apprendre à bien utiliser son cerveau, ce qui n’a jamais été
propose aux pseudo-adultes que nous sommes. Contrairement à ce que dit
Koestler, l’homme n’est pas mal fait ; il est mal élevé car l’éducation
de type occidental a cherché à faire de lui un « cérébral »
au sens intellectuel (ou manuel sans créativité) ; c’est-à-dire,
pour le neurophysiologiste, celui qui utilise mal son cerveau et, à cause de
cela, se déséquilibre dans son psychisme et son corps (troubles
psychosomatiques), se névrose. N’est-ce pas pour cela que Koestler vieux et
malade s’est suicidé, entraînant hélas sa femme plus jeune, pris par une idéologie
de refus de la vieillesse et de la maladie ne lui permettant pas de sentir,
malgré tout, une certaine joie de vivre ? On songe à Montherlant,
adorateur de la pseudo-virilité agressive des jeunes, d’abord hitlériens
puis américains, qui, lui aussi, s’est suicidé dans le refus d’une
diminution qui, pour le spirituel même athée, a de nombreux aspects positifs
de croissance, n’en déplaise aux partisans de l’euthanasie. L’homme est mal élevé en
Occident qui se veut modèle pour le monde, ces « autres », par définition,
sauvages : d’abord car il a oublié sa nature biologique psychosomatique.
Croyant, il oppose le corps quasi animal à une âme quasi angélique ;
incroyant, il oppose, de même, une nature matérielle à une culture propre de
l’humain. Pour se bien conduire, il apprend une idéologie moraliste
socioculturelle désincarnée. Les marxistes, métaphysiquement matérialistes,
s’enferment dans une idéologie culturaliste de domination irrespectueuse de
la matière qui rejoint le manichéisme, le jansénisme et le puritanisme de ces
pseudo-chrétiens pour qui la chair n’est que possibilité de péché, dans un
oubli total de cette mystique de la matière qu’implique la Création,
l’Incarnation, la Résurrection de la chair de la Glorification et
l’Eucharistie. Le préjugé dont nous
mourons, qui détruit notre cerveau et fait de notre civilisation une
civilisation névrosante pour névrosés, est cette séparation de l’âme et
du corps, qui fait de la morale un moralisme de refoulement de la chair, si bien
dénoncé par Freud, mais dans le risque, tout aussi déséquilibrant, d’un
amoralisme nous livrant, aux défoulements inhumains d’une chair dépravée
par sa séparation d’une âme perdue au ciel des anges. L’éducation moraliste,
c’est donc apprendre à se détourner de la chair, quitte à en prendre le
contre-pied au nom d’une soi-disant liberté détruite par le moralisme. On
ignore ce que sentent implicitement ces maîtres en pédagogie que sont les
professeurs de l’école maternelle, que l’éducation c’est – parce que
l’homme est libéré des bons instincts animaux – apprendre à vivre
collectivement avec des professeurs de vie ; ce qui est apprendre à être
libre en se libérant, au lieu de faire de la liberté la revendication de faire
à sa fantaisie ce qui nous plaît, cette spontanéité inéduquée qui est,
d’après Freud, l’esclavage aliénateur des pulsions inconscientes. Se bien conduire pour être
libre, cela ne repose pas sur une idéologie basée sur une philosophie ou une
religion qui ne pourrait obtenir l’accord de tous, mais sur une morale naturelle commune qui est une morale
du cerveau, une neuropédagogie. Or,
à part certains spécialistes d’éducation nouvelle, quel pédagogue s’intéresse
au cerveau ? – ce qui fut l’intuition de ce précurseur de génie que
fut Itard, ré-éducateur du Sauvage de
l’Aveyron, cet enfant non humanisé de par son isolement dans les bois,
dont les spécialistes de l’époque faisaient un idiot abandonné, au lieu de
voir que son insuffisance tenait à sa non socialisation, sa non culturation par
le langage. On classifie les cultures de façon raciste en donnant toute la supériorité
à la culture scientifique et technique de l’Occident, qui a conquis le monde
par la supériorité de l’armement, le mensonge et la cupidité. Devant cette
constatation, certains contestent cette culture en regrettant le passé. La
vraie solution est refusée : constater que l’homme peut inventer
n’importe quelle culture et s’en satisfaire, mais que ce peut être une
toxicomanie, car toute culture n’est pas bonne. N’est bonne qu’une culture
d’épanouissement de la personne, c’est-à-dire, de l’individu pour lui-même
et ses relations avec les autres. Qui nous dira le bien et le mauvais sinon la
science de l’équilibre nerveux, du bon fonctionnement du cerveau, la
neurophysiologie, science normative,
qui ne rattache pas le bien à une idéologie contestable, des préjugés,
mais aux lois qu’elle découvre inscrites en nous et d’abord dans notre
programmage génétique, qui font de notre cerveau le moyen de notre épanouissement,
de notre libération, savoir s’aimer de façon limitée en sachant aimer les
autres – cette dimension suprême de l’être humain dans le bon
fonctionnement de son cerveau que méprise l’intellectualisme occidental en le
réduisant à une affectivité pulsionnelle animale et à un sexe, dimension
essentielle de tout notre être, réduit à une sensualité génitale
pratiquement désocialisée. La connaissance normative
humaniste et morale du cerveau devrait être la base de toute éducation. Or
aujourd’hui qui connaît le cerveau sauf ceux qui se préparent à des
professions biologiques et médicales ? Pour eux, c’est un objet d’études
et jamais ils ne se disent : il s’agit de mon cerveau pour une vie
heureuse et bonne. Ils apprennent à manipuler le cerveau dans un but thérapeutique
opposant les malades et les bien portants. Quant à la vulgarisation sur le
cerveau, elle n’est qu’une curiosité qui ne nous engage pas vers une neuropédagogie
personnelle. Il y a donc un avenir normal
du cerveau humain qui est son salut, son utilisation correcte, non le
transformer pour pouvoir vivre dans un monde invivable, mais le contrôler en
respectant ses lois, s’épanouir en l’épanouissant, contribuant au début
à sa croissance correcte et ralentissant son vieillissement, le rendant plus résistant,
tout en travaillant dans la lucidité à faire une société de respect de la
vie humaine, donc d’équilibre psychosocial par le respect des lois cérébrales
de l’amour libérateur. La base de cette neuropédagogie
est dans la confirmation scientifique de l’intuition des sagesses
traditionnelles, l’œcuménisme des mystiques de l’amour. Le judéo-christianisme
a misé dans ce sens ; malheureusement, il s’est désincarné dans le mépris
du corps. Ayant insisté justement sur la transcendance, il l’a hélas mise
dans un au-delà coupé du réel matériel, lui supprimant toute efficacité
autre que miraculeuse. Nous avons donc besoin aujourd’hui du dialogue avec
l’Orient, qui a davantage mis l’accent sur la présence constitutive du
spirituel dans le monde et l’homme, sur l’aspect immanent
d’un transcendant, peut-être moins perçu dans sa dimension complète.
C’est donc de cette sagesse orientale, si méprisée de la science avant
qu’elle commence aujourd’hui à en découvrir la vérité (nouvelle physique
notamment), que nous attendons que cesse la dénaturation technocratique de la
science, son retour à la norme morale objective. C’est de l’Orient aussi
que nous reviendra la vraie pensée judéo-chrétienne, cette pensée de
l’occident de l’Orient, conservée après les ascètes du Sinaï par les
moines de l’Athos, l’hésychasme, la philocalie, la prière de Jésus, ce
yoga chrétien,
où la matière et le corps révèlent leur secret intime dans l’icône. Une science mécaniste voulait
voir dans la mystique sa seule dénaturation psychiatrique ; c’est
aujourd’hui la science neurologique de la conscience, des autres états de
conscience nullement altérés (mauvaise traduction de l’anglais « altered »),
qui nous confirme l’accord d’une bonne mystique de vigilance (satori) et de l’équilibre cérébral, un état plus normal que celui
du pauvre cerveau des énervés que nous sommes, incapables de vraie lucidité
dans la paix intérieure. La révolution du cerveau elle a été vécue au Japon
quand des psychophysiologistes formés aux techniques d’Occident ont consenti
à faire le bilan du cerveau en méditation zen et ont découvert non une
psychopathologie de voyage vers l’ailleurs, mais un état de calme présence,
une meilleure utilisation plus efficace du cerveau. Et le jésuite Johnston,
missionnaire au Japon utilisant les techniques zen, se passionne pour leur étude
scientifique et sous-titre son livre Musique
du silence par « Recherche
scientifique et méditation » (Cerf), montrant que la science peut
nous préciser la bonne manière de méditer, faire silence et recevoir dans la
paix et le calme, au lieu de s’énerver dans un effort intellectuel
volontariste et verbaliste. Un ressourcement en soi qui plus humblement se révèle
une hygiène psychosomatique du cerveau qui permet de comprendre le point de vue
du cardinal Daniélou parlant de « l’oraison
problème politique », moyen pour incroyants comme croyants de faire
une bonne politique d’épanouissement humain. L’Occident se dit
personnaliste ; mais bien souvent l’Orient y trouve l’apologie de l’égoïsme,
ce culte d’un ego orgueilleux, coupé du réel et des autres, qui est du point
de vue neurologique un faux ego déséquilibré et déséquilibrant. Certains en
concluent au refus total de l’ego et cherchent à se perdre dans l’âme
impersonnelle du monde ; erreur scientifique, puisque le monde en évolution
est personnalisant. La norme cérébrale de l’ego c’est de l’identifier à
cette synthèse des sensations corporelles de l’image du corps ou schéma
corporel, un moi réel, ni inférieur, ni supérieur, égal aux autres moi dont
il a besoin pour se compléter à cause de leurs différences. La fonction essentielle du
cerveau humain c’est la volonté et le but de la neuropédagogie est
d’apprendre à vouloir. Mais si on n’en veut plus aujourd’hui, tombant
dans l’aboulie de l’asservissement aux pulsions, c’est que nous avons dénaturé
une volonté devenue déséquilibrante, car fonction de l’âme matant la chair
en la refoulant, l’opposé de la liberté. Pour la neurophysiologie moderne du
« behavioral self-control »
et du « biofeedback », la volonté c’est la présence à la
direction de sa conduite (se gouverner), non dans l’effort crispé et apeuré
mais dans le calme de la lucidité et de la paix intérieure. Transcendante, la
volonté n’est vraie que dans l’immanence, fonction du corps animé, contrôle
cérébral de soi, suivant l’expression de ce maître en neuropédagogie que
fut le Dr Vittoz, qui apprenait aux « nerveux »
à se guérir par un art de vivre conforme aux lois du cerveau. Rien de plus éclairant sur la
vraie volonté que le dialogue entre l’allemand Herrigel et son maître zen
dans la pratique du tir à l’arc. Plus l’Occidental crispé veut réussir et
plus il échoue. Le maître lui dit de ne pas vouloir, de sentir sa relaxation,
le calme de sa respiration, grâce à quoi la flèche ira au but toute seule. Ce
refus du volontarisme de la réussite, du record, apparaît comme le refus de
vouloir ; c’est en fait le secret de la vraie volonté du contrôle cérébral,
dont Vittoz nous dit que le petit enfant qui joue dans son berceau est le modèle. Pour vouloir, il faut donc être,
non dans les idées, les soucis, les peurs, mais dans son corps, son cerveau ;
être dans la sensation, dans son schéma corporel, présent au monde, non se
perdre dans le « grand tout »,
mais assumer sa place permise par le cerveau dans l’évolution
personnalisante de ce « grand tout ».
Or la neurophysiologie nous dit (cf. Jean-Pierre Changeux) que dans le cerveau
il n’y pas d’idées mais des images cérébrales d’origine sensible, le
cerveau ne pensant que par imagination, une imagination qu’il ne faut pas éliminer
comme « folle du logis »,
mais contrôler pour en faire la « sage du logis » – ce que
proposait Coué dans ses exercices dont on a eu tort de se moquer, alors que
nous nous déséquilibrons en les pratiquant à l’envers au service de
l’angoisse et non de la paix. C’est en contrôlant son
attention, en apprenant à se détacher de l’idée fixe, qu’on peut être présent.
Mais ici aussi la vigilance qui est attention,
nous essayons sans succès de la réaliser dans un effort de tension. La neurophysiologie
de l’attention, assurée par les centres de la base du cerveau, montre qu’on
n’est attentif que dans le calme, la détente et la paix, qu’à l’opposé
de l’effort crispé, l’attention, base de la volonté, exige la relaxation,
s’obtient par les techniques de relaxation d’hypno-sophrologie, comme de
yoga ou du zen, qui semblaient à l’Occidental refus de vigilance, alors
qu’elles en sont le moyen devenant la base de toute neuropédagogie. Tout aussi éclairant que
l’exemple du tir à l’arc est celui de la méthode psychoprophylactique
d’accouchement sans douleur, apprise des pavloviens russes par le Dr Lamaze,
dans le refus et l’incompréhension des médecins qui encore aujourd’hui lui
préfèrent la rachianesthésie. C’est à des femmes du
peuple (clinique des métaux) que Lamaze apprenait la neurophysiologie des bons
conditionnements, de la bonne utilisation du cerveau, la connaissance et le
contrôle du corps remplaçant la peur, permettaient de supprimer la douleur par
une activité lucide et efficace, ceci étant valable non pas seulement pour
l’accouchement mais pour la lucidité du contrôle de soi dans toute la vie,
pour la femme comme l’homme, et notamment pour la maîtrise du fléau
automobile, comme pour le contrôle de l’agressivité et l’humanisation de
la sexualité. Si on dit que la musique
adoucit les mœurs, on ne la considère que sur un plan esthétique désincarné,
alors que la neurophysiologie nous montre que l’harmonie artistique met le
cerveau et tout le corps en détente harmonieuse rééduquant à la lucidité et
au contrôle. Efficacité de la musicothérapie, à l’opposé de l’action déséquilibrante
du bruit ; efficacité du chant conscient, la psychophonie de M.L. Aucher. C’est dans cette voie
qu’est le salut du cerveau humain et son avenir. Le professeur d’éducation
physique, si, avec Le Boulch, il comprend son métier, l’éducation
par le mouvement, peut
devenir éducateur de la vigilance et du contrôle non volontariste, à faire
passer dans toute la vie. Mais ceci concerne tous les professeurs. Avec le Bulgare Lozanoff, la suggestopédie devient le moyen d’apprendre vite et mieux dans la détente
une langue étrangère en l’écoutant, au lieu d’avoir peur de ne pas y
arriver. À son école, des spécialistes comme G. Racle (L’éducation
interactive, Retz) ou Lerède*
deviennent les maîtres de la neuropédagogie. Professeur d’anglais appliquant
le yoga au lycée, M. Flack obtient des succès (Des
enfants qui réussissent, Epi).
Pour lutter contre l’angoisse qui conduit au suicide, encouragé par des
inconscients, M. Carayon (S.O.S.
Suicide Levain) remet dans le réel et la paix grâce à des exercices
Vittoz. La biologie que nous redoutons
avec raison peut, dans sa dimension complète et vraie, devenir source
d’espoir. C’est ainsi qu’il faut comprendre le message de lutte pour
l’espoir du paléontologue Teilhard, mettant nos efforts pleins d’espérance
au service d’un progrès humain qui est le destin normal du monde remis entre
nos mains. Nous allons cette année [1986] célébrer le centenaire de la
naissance d’un autre jésuite neuropédagogie, le P. Jousse, lui aussi spécialiste
du corps et du cerveau, par L’anthropologie du geste et la Manifestation
de la parole, disciple de sa grand-mère paysanne illettrée de la Sarthe,
qui nous a révélé le rôle de la rythmique gestuelle et linguistique dans la
mémorisation avant l’écriture. Mettant l’accent sur le
langage intérieur, moyen humain de penser, l’Occident avait eu le trot de
faire du langage un verbalisme idéologique coupé du corps, oubliant la nature
sensible du geste verbal, l’imagination verbale. Reconnaissant que les centres
cérébraux du langage sont dans le seul cerveau gauche du droitier,
particularité humaine, on avait majoré le cerveau gauche intellectuel et
rationnel, ce qui permettait, comme le faisait Koestler, d’opposer le cerveau
primitif affectif et sensible animal au cerveau humain. C’était la grave
erreur d’oublier le cerveau muet, l’hémisphère droit de la main gauche du
droitier. La grande révolution, si importante du point de vue neuropédagogie,
salut de l’humanité, c’est la réhabilitation du cerveau droit, permise au
départ par les recherches de Sperry isolant le cerveau droit par section du
corps calleux qui unit les deux hémisphères. On voit alors que ce qu’on méprisait
comme héritage animal est promu au niveau humain dans le cerveau droit, cerveau
d’un niveau de conscience non-réfléchi de type animal, cerveau sensible et
affectif responsable de la musique de la voix ou du chant, qui nous situe dans
l’espace et le temps, cerveau de l’intuition et de la mystique. Le cerveau
gauche ne fonctionne bien que s’il est banché sur le cerveau droit pour mieux
exprimer ce que celui-ci ressent, au lieu de s’enfermer dans des idéologies
irréelles. Les circuits supérieurs préfrontaux, propre de l’homme,
permettent, grâce au corps calleux, la coordination des deux hémisphères. La
supériorité cérébrale humaine c’est le cœur, comme le pense la juste
intuition féminine, mais un cœur conscient, qui n’est pas affectivité
aveugle, car il comporte le regard de la raison du cerveau gauche, perdant, grâce
au cerveau droit, son inhumaine sécheresse. La neuropédagogie débouche
ainsi sur la mystique de l’amour, secret du monde. Mystère que cette nouvelle
science qui, de son point de vue, redécouvre le spirituel, propriété du
corps. Mais faut-il, avec les matérialistes, en conclure que pour cela tout
s’arrête à la mort ? Nullement, car si le cerveau matériel a des
pouvoirs qui dépassent le matériel, nous avons besoin de l’expliquer par une
neurophilosophie que nous trouvons dans la philosophie qu’ont développée les
maîtres du spiritualisme non-dualiste de « l’âme forme du corps » :
Aristote et ses disciples Averroès, Maimonide ou Thomas d’Aquin, une
philosophie de l’information si pré-adaptée à notre science moderne de
l’information, union du matériel de l’organisation et du spirituel de
l’information, la néguentropie, aspect thermodynamique de l’amour. *** *** *** © Le IIIe
Millénaire, N°1, printemps 1986. *
La suggestopédie, « Que sais-je »,
P.U.F. Dans Les troupeaux de l’aurore (Delachaux et Niestlé), il
oppose une mauvaise suggestopédie aliénante à une bonne suggestopédie
libératrice. |
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