french arabic
 

L’universel

 

Jean-Marie Muller

 

Longtemps, les hommes ont vécu enfermés dans leurs particularismes culturels, ignorant la notion même d’universalité. Celle-ci est une conquête, l’aboutissement d’un long processus. Pour affirmer leur identité, les hommes et les peuples se réfèrent aux valeurs qui fondent leur propre culture et leur propre civilisation. Peu à peu, chaque culture, bien que limitée et finie, a affirmé la prétention de rendre compte de la totalité du réel et, par là même, de viser à l’universalité. Chacune affirme que ses valeurs correspondent aux exigences les plus profondes de l’humanité et prétend qu’elles ont vocation à être universellement reconnues. Cela est compréhensible et légitime. Malheureusement, chaque culture a propension à absolutiser le savoir qu’elle secrète et à vouloir l’imposer aux autres. Il résulte de ces prétentions contradictoires des antagonismes, des oppositions et des heurts. L’histoire d’hier et d’aujourd’hui nous montre que ces conflits peuvent facilement devenir sanglants et meurtriers. Car chaque communauté, au nom de ses propres valeurs, est tenté d’aller livrer bataille contre les autres.

Ainsi, ces derniers siècles, les hommes ont généralement pensé et recherché l’universel à travers l’universalisation de leur propre culture. Convaincus qu’ils possédaient « la vérité », ils ont construit une idéologie dont ils ont fait un absolu et ils se sont donné la mission de l’imposer au monde entier. Le propre de l’idéologie est de s’arroger les privilèges de l’universalité et de prétendre atteindre l’universel par la puissance, la conquête et la domination, c’est-à-dire, pour autant que nécessaire, par la violence. Le moment n’est-il pas venu de rompre une fois pour toutes avec cette vision totalitaire de l’universel qui a engendré tant et tant de malheurs ?

Pour apaiser les conflits qui surgissent entre les communautés et les peuples et établir le fondement d’une existence pacifique, nous avons pris l’habitude d’appeler à la tolérance envers les autres cultures. Nous faisons valoir que si nous faisons l’effort de mieux les connaître et de mieux les comprendre, nous découvrirons ce que chacune renferme de grandeur et de noblesse. Et nous affirmons que, pour vivre en paix les uns avec les autres, nous devons accepter nos différences. Cela est vrai, mais pour une part seulement. Car, en réalité, n’est-ce pas plutôt nos ressemblances qui engendrent nos querelles, nos conflits et nos batailles ? N’est-ce pas parce que nous imitons nos erreurs et nos fautes que nous nous retrouvons si souvent en guerre les uns contre les autres ? N’est-ce pas parce que nos civilisations sont pareillement imprégnées par la culture de la violence que nous sommes continuellement sur le point de nous blesser et de nous meurtrir les uns les autres ?

L’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable qui domine les cultures tend à effacer les différences et à faire apparaître des ressemblances effrayantes. Dès lors, l’urgence, pour construire un avenir pacifié, n’est pas tant d’accepter nos différences que de refuser nos ressemblances. Lorsque l’esprit humain œuvre dans le bien, il produit une inépuisable richesse de réalisations aux formes variées. Dès qu’il œuvre dans le mal, il est désespérément monotone, répétitif. Aussi, les hommes qui portent sur leur visage les stigmates de la violence finissent-ils par se ressembler.

Après les sanglantes déchirures du XXe siècle, saurons-nous inventer la sagesse universelle qui nous permettra de vivre ensemble dans la concorde ? Le défi est immense. Aurons-nous l’intelligence et le courage de le relever ? Saurons-nous arrêter le processus de nivellement des cultures, tendre à l’universel non pas en les uniformisant, mais en les faisant converger indéfiniment ? Le dialogue des cultures doit permettre de définir des référents éthiques communs. Dialogue sans complaisance ni marchandage, mené avec rigueur intellectuelle, avec intransigeance. À chacun de faire, au préalable, œuvre de discernement critique dans le champ de sa propre culture. Nos cultures ne peuvent se rejoindre – sans se confondre – qu’à ce prix. C’est alors que nous nous enrichirons de nos différences. Ne nous y trompons pas : la tâche est ardue, mais elle comporte un formidable défi !

L’un des fondements possibles de cette sagesse universelle est la Règle d’or formulée dans différentes traditions spirituelles. Elle peut s’énoncer ainsi : « Ce que tu ne veux pas que les autres te fassent, ne le fais pas aux autres. » Or, ce que je ne veux pas, c’est d’abord que l’autre homme me fasse mourir. Dès lors, l’impératif de la Règle d’or rejoint l’exigence universelle de la conscience raisonnable : « Tu ne tueras pas ». Ainsi le principe de non-violence fonde l’universalité de la loi morale que les êtres raisonnables et consciencieux se donnent librement à eux-mêmes.

Et pourtant, les traditions dont nous sommes les héritiers, alors qu’elles ont donné une grande et belle place à la violence, n’ont donné pratiquement aucune place à la non-violence, jusqu’à ignorer son nom. Dès lors, nous devons entreprendre un délicat travail de discernement afin de récuser avec courage et audace tout ce qui, dans notre propre culture, légitime et sacralise la violence. Cessons d’innocenter le meurtre perpétré au nom d’une cause juste. Que la violence ne soit plus honorée comme la vertu de l’homme fort. Cette rupture sera douloureuse, parce que radicale et profonde. Nous découvrirons que chacune de nos cultures a souvent collaboré avec la violence, lui apportant caution et justification. Rompre avec la culture de la violence, c’est quelque part, sans pour autant faire table rase du passé, rompre avec notre propre culture. Et il est difficile de récuser une part de la tradition qui nous a été léguée comme un héritage sacré.

Dans chacune de nos traditions, il y a des pierres d’attente sur lesquelles nous pouvons fonder une sagesse de la non-violence. Chacune porte en elle des « valeurs » qui confèrent à tout homme dignité, grandeur et noblesse et qui demandent qu’il soit respecté et aimé. Ces valeurs contredisent la violence qui prétend régenter la vie des hommes et des sociétés. Dans chacune de nos cultures, il s’est trouvé des femmes et des hommes qui sont entrés en dissidence, affirmant le primat de ces valeurs sur les requêtes de la violence. Mais, le plus souvent, ces valeurs se sont trouvées recouvertes par les scories de l’idéologie de la violence. Elles furent niées et reniées. C’est en fidélité à ces valeurs que chacun de nous se convaincra que l’exigence de non-violence fonde et structure l’humanité de l’homme, qu’elle donne sens et transcendance à sa vie. Et nous découvrirons que cette fidélité, au-delà de la rupture que nous aurons opérée, nous conduira au cœur même de notre culture.

C’est en réfléchissant sur l’universalité de la beauté que nous pouvons le mieux comprendre l’universalité de la sagesse. Comme la beauté, la sagesse s’adresse à la liberté de l’homme, sans jamais vouloir s’imposer par la contrainte. La sagesse, comme la beauté, réconcilie l’homme avec lui-même, préludant à la réconciliation des hommes. L’universalité de l’éthique, qui fonde la sagesse de l’homme raisonnable, présente une profonde analogie avec l’universalité de l’art : son heureuse alchimie réunit l’universel et le singulier. L’artiste parvient à dépasser les particularismes de la civilisation où il naît, tout en exprimant la singulière originalité de sa culture. L’art atteint l’universel, alors que les formes qu’il produit sont d’une flamboyante diversité. Quelles que soient les métamorphoses et les variations dont résultent ses formes, leur langage parle au cœur de tout homme. Dans chaque culture, l’art exprime les mêmes émotions devant la beauté tragique de l’existence, les mêmes interrogations sur le destin de l’homme et, à travers elles, ce sont les mêmes quêtes et les mêmes requêtes, les mêmes angoisses et les mêmes espérances qu’il formule. Chaque sagesse, selon la culture qui l’a engendrée, aura sa propre couleur, sa propre musicalité, sa propre forme, mais toutes concourront à la même harmonie pour exprimer l’universel humain.

*** *** ***

 ÇáÕÝÍÉ ÇáÃæáì

Front Page

 ÇÝÊÊÇÍíÉ

                              

ãäÞæáÇÊ ÑæÍíøÉ

Spiritual Traditions

 ÃÓØæÑÉ

Mythology

 Þíã ÎÇáÏÉ

Perennial Ethics

 òÅÖÇÁÇÊ

Spotlights

 ÅÈÓÊãæáæÌíÇ

Epistemology

 ØÈÇÈÉ ÈÏíáÉ

Alternative Medicine

 ÅíßæáæÌíÇ ÚãíÞÉ

Deep Ecology

Úáã äÝÓ ÇáÃÚãÇÞ

Depth Psychology

ÇááÇÚäÝ æÇáãÞÇæãÉ

Nonviolence & Resistance

 ÃÏÈ

Literature

 ßÊÈ æÞÑÇÁÇÊ

Books & Readings

 Ýäø

Art

 ãÑÕÏ

On the Lookout

The Sycamore Center

ááÇÊÕÇá ÈäÇ 

ÇáåÇÊÝ: 3312257 - 11 - 963

ÇáÚäæÇä: Õ. È.: 5866 - ÏãÔÞ/ ÓæÑíÉ

maaber@scs-net.org  :ÇáÈÑíÏ ÇáÅáßÊÑæäí

  ÓÇÚÏ Ýí ÇáÊäÖíÏ: áãì       ÇáÃÎÑÓ¡ áæÓí ÎíÑ Èß¡ äÈíá ÓáÇãÉ¡ åÝÇá       íæÓÝ æÏíãÉ ÚÈøæÏ