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La Grèce ici et là, hier et aujourd’hui

 

Pierre LE NEVEU

 

Quelques jours avant mon départ, la rencontre à Paris d’un voyageur extraordinaire – c’est bien le mot – me plongea tout à coup dans les profondeurs et les merveilles du monde grec. À quelques pas des Champs-Élysées, devant la porte du Petit Palais, il dressait un torse majestueux, en dépit d’un lourd appareil « orthopédique » destiné à immobiliser des fractures. Il se présenta :

-          On m’appelle PTOLÉMÉE. Quoique de forme humaine, j’échappe aux contraintes physiologiques, qui limitent si tragiquement les destinées des hommes. La tragédie, cependant, ne m’a pas été épargnée, comme tu vois… Après 16 siècles de présence à l’entrée du port d’Alexandrie, au pied du célèbre phare, mes 20 tonnes de granite rose ont été projetées au fond de l’eau, par un de ces séismes qui mettent périodiquement nos côtes méditerranéennes sens dessus dessous. L’expression, je t’assure, n’a rien d’exagéré. Des archéologues venus de ton pays m’ont tiré de là l’an dernier. Ils ont poussé la complaisance jusqu’à faire transporter mes fragments – du moins ceux qu’ils ont pu récupérer – jusqu’à cette capitale, où des techniciens très spécialisés m’ont rendu mes formes anciennes. Heureux de te rencontrer, ami, au milieu d’un trafic turbulent et nauséabond en regard du glissement des voiliers entrant au port. Comme les eaux de ton fleuve sont tristes, troubles, en comparaison de cette mer qui a la couleur des yeux de nos déesses ! Dans quelques jours, par bonheur, on me reconduira là-bas, où j’attendrai tranquillement la prochaine catastrophe. De quoi me plaindrais-je ?! Mon sort n’est-il pas celui de ces choses mystérieuses, faites de matière et d’esprit, que vous appelez « symboles » ?

À des propos si surprenants, que répondrais-je ?

-          Bon voyage, Ptolémée de pierre ! Entre nous, à un ou deux siècles près, vous l’avez échappé belle : en Europe, le temps des pillages archéologiques – voyez l’Obélisque, tout près d’ici, et les Antiquités du Louvre, un peu plus loin sur le même quai – est révolu. Retournez donc à cette ville, où les monarques qui portaient votre nom – des grecs, ne l’oublions pas ! – ont bien mérité que nous prenions soin, 2000 ans plus tard, de leur image minérale. Ils ont su faire d’Alexandrie, pendant quelque 9 siècles, la vraie capitale du monde grec. Capitale spirituelle, s’entend. Allez, symbole rafistolé par la magie technologique ! Parlez et faites nous parler, puisqu’on vous a fait pour cela. Remis à votre place, vous nous entretiendrez d’un temps où les expéditions militaires étaient le prélude à des échanges culturels. Élève d’Aristote et d’Achille ressuscité tout ensemble, votre chef Alexandre eut la sagesse de respecter, en chevauchant entre Nil et Indus, les institutions de peuples qui auront été visités par lui plutôt qu’asservis. À sa mort, vous êtes devenu le Pharaon – quelque chose comme un maître divin dans un état socialiste – qu’il avait été lui-même avec élégance. Et quel travail vous avez fait !

Mais je m’égare, croyant parler aux divers Ptolémées que cette statue immortalise à ses risques et périls. Qui fit construire la Bibliothèque (une fondation qu’ils chérissaient tellement que, pour l’enrichir, leurs services empruntaient les livres véhiculés par les navires et les rendaient après copie faite) et, près de la Bibliothèque, un centre de recherches, le MUSÉE, premier établissement au monde ainsi nommé ? Eux, les Ptolémées. Qui édifia, sur l’Île de Pharos, ce luminaire qui émerveilla le monde, jusqu’au jour où le jeu des plaques tectoniques le plongea dans les flots avec notre statue ? Eux encore. Et qui, désireux de donner à la Bible hébraïque une audience universelle, réunit une équipe de traducteurs sur cette même Île de Pharos pour ainsi éditer la première version grecque du livre le plus lu au monde ? Toujours eux.

Comme on sait, les Romains, monstres d’organisation militaire et civile, s’emparèrent d’Athènes en 87 avant J.-C. et ne tardèrent pas à s’étendre en Afrique et en Asie Mineure. Près de 300 ans après la mort d’Alexandre, le dernier chaînon de cette dynastie amoureuse du Beau, du Bien et du Vrai, la pauvre Cléopâtre, livrée à des brutes cuirassées, dut recourir au venin d’un aspic. Mais l’esprit – Dieu merci – a la vie dure. Les Césars et les intellectuels romains furent les premiers à apprécier la culture grecque. Bien avant la conquête, l’homme d’État Cicéron s’était rendu à Athènes pour prendre des leçons de philosophie. En 176 de notre ère, Marc-Aurèle, un sage au pouvoir – cela peut arriver ! – redonna vie à quatre chaires (platonicienne, aristotélicienne, stoïcienne et épicurienne) en les rétribuant sur des fonds impériaux. Cent ans plus tard, Plotin, qui avait commencé sa carrière dans une Alexandrie toujours grecque d’esprit, vint fonder à Rome même une école néoplatonicienne. II y enseigna la dernière forme d’une pensée qui, remontant aux deux grands maîtres complémentaires, Pythagore et Héraclite, s’était développée pendant huit siècles. Cette pensée-là, en laquelle les théosophes modernes, dont Mme Blavatsky, voient l’expression de la Sagesse Divine, les Romains n’en furent que les serviteurs sur toute la surface de leur empire.

Excusez ces propos de parfait pédant. Je désirais fonder cette conviction, qui fut celle du Bouddha, que le véritable auteur de notre histoire, qui se confond avec celle du Cosmos, est la pensée, et que les « penseurs » que nous révérons n’ont été ou ne sont que les instruments successifs de son développement. Comme on l’a rappelé à Palo Alto, nous devons dire : « Il pense dans l’univers » comme nous disons « Il pleut » ou « Il fait beau » ! Et il me plaît d’ajouter que, dans notre monde occidental, ce processus trans-individuel a commencé ici, justement ici, sur l’Archipel égéen et les côtes continentales voisines. Tout se passe comme si, par continuité énergétique, les phénomènes neuronaux étaient la suite naturelle des phénomènes géologiques. Aux bouleversements de l’écorce terrestre ont succédé des spéculations qui sont à l’origine des entreprises civilisées. Ainsi notre planète – cet être vivant – a, elle aussi, ses centres créatifs, ses chakra, et je vous envoie ce message de l’un d’eux.

Un charter Nouvelles Frontières m’a déposé à Iraklion, capitale moderne de la Crète. À 5 kilomètres de là, KNOSSOS, centre supposé d’une brillante civilisation maritime, attend ses hordes de visiteurs. Deux hommes ont laissé leur nom dans l’histoire de ce palais : le Roi légendaire Minos et le bien réel Sir Arthur Evans qui, avant et après la 1ère Guerre mondiale, travailla 25 ans sur le site. Cet archéologue passionné a imaginé les activités qui prenaient place dans l’immense palais. Des artistes ont ensuite composé des dessins inspirés par ses conceptions. Le résultat est charmant, certes, mais que faut-il en penser ? Je me souviens de mes visites de Grenade, où des spécialistes du temps des Rois Catholiques avouaient ne rien savoir de la vie qui s’était éteinte à l’intérieur d’Alhambra 400 ans plut tôt !

D’Iraklion à Thessaloniki, un petit avion à hélices nous fit survoler l’Archipel du Sud au Nord, à vitesse et altitude raisonnables. Dans ce cas, l’expression « navigation aérienne » prend un sens. Bonheur de reconnaître Santorin, Paros, etc. Envie d’aborder sur d’autres îles. Envie de revenir, tout simplement.

À Spinalonga, petite île au nord de la Crète, étaient reclus des « ermites » d’un genre particulier, les lépreux. Une pensée va à mon ami Michel Jourdan, qui, lui, n’est pas lépreux, Dieu merci, et a écrit La vie d’ermite. Comme il serait heureux s’il pouvait s’isoler sur ce site abandonné, devenu un but d’excursions quotidiennes. C’est lui, Michel, qui m’a signalé l’immense intérêt d’un travail de Pierre Hadot : Qu’est-ce que la philosophie antique ?, que je vous exhorte à lire pour que cette lettre vous soit de quelque utilité.

Êtes-vous de ceux qui ont la nostalgie du pays natal ? Si oui, après cette lecture, vous étendrez ce sentiment à la Grèce et à tous les lieux où la pensée grecque a fleuri. Car grecs, nous le sommes tous d’une certaine façon. Et nous nous en trouvons bien.

Iraklion, Théologos, septembre 1998

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