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Le
repentir de Dieu
Nazih Abou Afash
Ferme les yeux… ; le poème est visible : C’est le germe qui est à l’image de l’œuvre divine. L’âme sage de la Terre qui s’éveille à chaque coup de pic porté dans
le sol. Le chaos intelligent de la nature qui transforme le chaos en miracle. L’herbe généreuse qui sculpte dans l’air l’histoire d’un néant
cosmique refusant de rester indéfiniment néant. * Ferme les yeux… ; le poème est visible : Une éternité qui respire. De l’or frappé coulant sur la roche. Du sang vert. Un désordre sauvage… qui s’organiserait par la volonté d’un
magicien. Une beauté plus déchirante que l’immolation : (Regarde donc la fleur). Des âmes vagabondes se cachant derrière leur musique et leur lumière. Ferme les yeux : L’herbe parle, les arbres parlent. Le vent, l’eau, la poussière, les
violettes, le poireau, l’insecte laborieuse, la marguerite des prés,
l’hirondelle, l’escargot, l’étoile, l’ombre, la lumière, la hasardeuse
apparition de la beauté… Toutes disent : « J’ai bien fait et mon œuvre est généreuse… ». Toutes s’écrient : « Point de mort, la beauté est plus éternelle que la raison. » *** Marche
lentement… La Terre a une âme. *** Je suis sur le point de voir le Poème : Je vois la ressemblance entre le nuage et Dieu. Entre un grain de blé et un Christ. Je Le vois. * Et j’entends dans la respiration des bourgeons et le hoquet des racines ce que les dieux ont dit quand ils ont voulu, pour la première fois, tuer leur ennui… en créant
la Vie. La Vie est l’œuvre de l’ennui divin. *** Marche lentement… La Terre a une âme. Tout ce qui est vivant et beau… est l’héritier de morts. Tout ce qui s’épanouit, se meut, chante, s’ouvre, fleurit sort de la matrice de la Mort : Tous – humains, animaux et plantes – sont les descendants de morts… vivant des offrandes de leur mort. *** La vie est un éternel enfant… qui a des milliers de siècles et des
milliard de morts… … … … …
… … Ne la malmène pas La Terre a une âme. Seule la Terre… est une matrice qui ne vieillit jamais. *** J’entends le tumulte secret de l’Univers : Le tintement d’étoiles nageant dans une eau bleue… Des herbes qui respirent… Une rosée irradiante… Des escargots qui soupirent dans des retraites amoureuses… Des fourmis qui halêtent… Des papillons, dans leur parure complète, qui baignent dans des flots de
lumière. … Car la Lumière aussi a une voix : une voix de cristal qui rit… une voix qui susurre: « La Beauté est
adoration. » *** L’univers est le miracle de l’amitié. La vie… un miracle de sang. *** Et « le
hasard » : Ceci est le plus grand miracle de l’Univers. Pourquoi donc l’homme insiste-t-il à se considérer comme la seule créature
à monopoliser les vertus, les religions et les outils à fabriquer la force ?!… * La force est une écume noire. La force est une religion aveugle. *** Les doctrines
ne m’intéressent point
(les vers aussi ont leurs doctrines) La doctrine des créatures : une aspiration à la beauté que l’on ne voit
que par l’œil du Cœur… une
aspiration à la pureté de la vie. * La force est masculine. Le pouvoir est masculin. Les religions sont
masculines. Les armes sont masculines !… Seule la compassion est… féminine. *** L’histoire de la civilisation humaine : image d’un soldat mort… gisant au bord d’une tranchée. A-t-il eu le temps de dire : « Pardonne-moi, maman ! » ?… *** Dieu… cet enfant de la faiblesse humaine. Pourquoi donc arme-t-on sa taille de tous ces poignards !… Mort sur mort… Des morts consolant des morts !!… Le printemps a les soupirs d’un mourant… Le printemps est une consolation verte. *** À chaque instant… dix mille martyrs : Un arbre, un oiseau, un poète, un soldat, une tortue, un enfant, une rose,
une cigale, une femme, un écolier, une amante, etc., etc. Et
personne ne dit à la Vie : « Pardon ! » * Si j’étais Dieu J’aurais fait les choses différemment. *** Cela fait des
millions d’années que j’erre dans ce sanglant bercail… ; et jamais je n’ai vu une chèvre, une vache, un ver de printemps portant
une arme à feu, élevant une potence, ou inventant une loi pour mettre à mort
quiconque découvre que le ciel est bleu, et que sa part de vie suffit à celui
qui veut dire : « Merci » à la Vie. *** L’être le plus naïf sur terre : l’homme. Peut-être parce qu’il ne reconnaît pas la vertu de l’innocence. * Ô combien étrange est la Terre… Le plus beau cimetière à produire la vie… Quelquefois : la plus horrible ferme à produire la mort !… * Prenez garde : La Terre a une âme. *** La Terre est ta mère… ; entre dans son sein. Elle est toujours ainsi… : vierge Vierge,
sans ceinture de chasteté. * Écoutez l’odeur du basilic… Écoutez les couleurs… Écoutez le chuchotement de l’herbe… Tel est leur message : Les
ancêtres souffrent de remords… *** Comment peut-on connaître la vérité d’autrui ?!… Peut-être ne sommes-nous que les rêves de nos morts. *** Pleurez sans bruit. Même l’herbe sait pleurer. * Inclinez-vous devant les larmes des herbes. … … … …
… … Inclinez-vous… car la Terre est un entrepôt de morts : Combien de millions de cœurs fallut-t-il pour fabriquer un collier de
violettes ?… Combien de millions de cœurs fallut-t-il pour pétrir un champ ?... Combien de myriades de cœurs fallut-t-il pour façonner une étoile ?!… *** Généreuse est la Vie. Elle remplit nos cœurs de satisfaction… et nos seins de fleurs. Dieu que nous sommes riches !… Il suffit que l’on ait tout cela... Tout ce qui ne vaut rien… *** Nous n’avons rien fait. Nous n’avons pas fabriqué de vie : La Vie c’est la larve de l’Eau éternelle. *** Nous sommes
faits d’une semence de mort issue de cœurs, de regrets, de rêves. Notre image ne fut pas dessiné là-haut… Nous foulons le ciel de nos pieds. *** On blâme le Poème d’être faible !… L’amour, de quoi peut-on le blâmer ?!… *** Ô, vous, les hommes… Vous êtes le repentir de Dieu. *** *** *** Mai
2000 Traduction : Akram Antaki et Dimitri Avguerinos |
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