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Histoire

L’histoire est le récit parcellaire – à la fois réel et mythifié – des événements qui jalonnent la vie des peuples et des nations. De par sa nature, ce récit ne saurait être neutre ou objectif. Il s’écrit dans un contexte culturel où domine l’idéologie de la violence. Cette remémoration ne consiste donc pas en une écriture pure et simple des événements ; elle en est une interprétation. L’histoire qui privilégie les faits violents reflète l’imprégnation de la culture de la violence chez les historiens eux-mêmes. À travers cette lecture, la violence est souvent valorisée comme l’action nécessaire, légitime et honorable à laquelle les communautés humaines doivent recourir pour construire leur identité. Les acteurs de la violence invoquent le jugement de l’histoire qui les justifierait. Mais le jugement de l’histoire n’existe pas. L’histoire ne peut s’ériger en juge ; elle ne peut être que jugée et elle est jugée le plus souvent par les vainqueurs. L’histoire semble donner raison aux « violents », mais c’est seulement l’histoire des « violents ». Pour écrire l’histoire des violences, il faudrait pouvoir faire parler les victimes.

Sans nul doute, notre vision de l’histoire fait écran à la compréhension de la non-violence. L’histoire est en effet emplie d’une multitude de violences perpétrées par des hommes contre d’autres hommes : persécutions, déportations, exécutions, assassinats, guerres, croisades, massacres, terrorismes, génocides… Les événements qui, chaque jour, font l’actualité, et dont nous sommes désormais les télé-voyeurs en temps réel, semblent inéluctablement marqués du sceau de la violence. Les images de destruction et de mort qui font la une des médias laissent une marque profonde dans nos sentiments et nos esprits. Insensiblement, nous en venons à croire que la violence est inscrite, telle une fatalité, dans la nature et le destin des hommes. Nous regardons l’histoire à travers le prisme déformant de l’idéologie de la violence qui domine nos cultures et celle-ci nous persuade que, seul, un supplément de violence pourrait éradiquer la violence. En proie à un tel conditionnement, comment faire entendre la voix de la non-violence sans qu’elle apparaisse comme une faute de goût, une erreur de jugement ? Un beau rêve sans doute, mais rien qu’un rêve !

Nous sommes ainsi convaincus qu’il serait irréaliste de concevoir une histoire non-violente. Et cela nous conduit à récuser la pertinence de la non-violence et à affirmer son incapacité à « faire l’histoire ». Certes, il serait vain de vouloir réécrire l’histoire en projetant sur le passé l’exigence de non-violence. Il y aurait sans nul doute beaucoup d’idéalisme à penser que, de tout temps, les hommes auraient pu et auraient dû être non-violents. S’il faut tenir, en toute rigueur, que la violence n’a jamais été une fatalité de l’histoire, il faut convenir que pour les individus qui se trouvaient enserrés dans un réseau de multiples contraintes sociales, il était pratiquement impossible de briser le joug de la nécessité de la violence qui pesait sur eux en sorte qu’ils ne pouvaient pas même concevoir « l’idée de la non-violence ». Le moteur de l’histoire n’est pas l’homme individuel, mais la collectivité et, le plus souvent, celle-ci parvient à imposer ses lois.

Pour autant, l’histoire n’est pas faite que de violence. Vie et mort y sont intimement mêlées. Mais il n’est pas étonnant que la matière première de l’actualité soit la violence : la bonté est silencieuse et n’aime pas se laisser photographier. La bienfaisance fait rarement événement. Aussi l’histoire aime-t-elle s’attarder sur les lieux où se déchaîne la violence. Et pourtant, le bien est lui aussi à l’œuvre dans la vie des hommes et des sociétés. À chaque époque, des esprits éclairés, souvent prophétiques, se sont insurgés contre la violence de leur temps, rompant avec leurs contemporains qui voyaient en elle une nécessité. Au moment même où l’histoire était dominée par une violence que rien ne semblait pouvoir maîtriser, des hommes ont ouvert des fenêtres vers les idéaux dont la transcendance éveille aux exigences de la vie de l’esprit. Refusant de courber l’échine devant une quelconque fatalité, ils ont pris la liberté, en assumant pour eux-mêmes les plus grands risques, de témoigner de l’exigence universelle de la conscience humaine : « Tu ne tueras pas. » Qui peut oser dire qu’ils n’ont en rien influé sur le cours de l’histoire ? Mais il est vrai que les débats de la conscience ont du mal à s’inscrire dans les récits historiques. Il ne faut pas s’étonner que les événements sanglants se transmettent mieux que les victoires de l’homme sur l’homme.

On ne saurait ni comprendre ni juger l’histoire et toutes ses violences du seul point de vue de la morale pure qui exige la non-violence. La non-violence ne se fonde pas sur un déni de l’histoire et de ses violences. Si elle succombait à cet idéalisme, elle s’exclurait elle-même de la temporalité historique. Elle s’interdirait d’avoir prise sur l’événement. En un sens, celui à qui il est loisible de méditer la non-violence n’aurait-il pas mauvaise grâce de se plaindre de l’histoire ? La non-violence n’est-elle pas un héritage que, de quelque manière, il a reçu de l’histoire ? Toutes les violences de l’histoire ne doivent pas être jugées avec le même regard. Certaines, malgré tout, ont rendu possible le progrès des hommes vers plus d’humanité. Il faut donc convenir qu’il existe en fait sinon en droit une dialectique violence/non-violence à travers laquelle l’histoire a rendu possible la non-violence.

Il n’y a pas de déterminisme absolu qui enfermerait les hommes dans un destin implacable. Le déterminisme historique a toujours comme revers la liberté humaine. Il est essentiel de maintenir les deux termes de la dialectique entre la nécessité et la liberté. L’homme n’est pas cerné par la fatalité de la violence lorsqu’il affronte les conflits qui l’opposent à ses semblables.

Une lecture attentive de l’histoire montrerait que d’autres forces que celle de la violence y sont à l’œuvre, que certaines idées (comme la tolérance, la démocratie, le respect des droits de l’Homme…) ont une force propre indépendante des moyens violents mis à leur service, que les dictatures peuvent être vaincues sans que la violence n’intervienne de façon décisive. Bien avant que Gandhi la nomme par son nom, la non-violence a agit dans l’histoire. Il existe une histoire des hauts faits de la résistance non-violente. L’expérience de nombreuses luttes a montré l’efficacité de la stratégie de l’action non-violente pour permettre aux hommes et aux peuples de recouvrer leur dignité et de défendre leur liberté. Ces exemples apportent la preuve que la non-violence n’est pas seulement une espérance, mais qu’elle est une possibilité.

Faut-il penser qu’il existe une loi de l’histoire selon laquelle l’humanité évoluerait peu à peu vers une prise de conscience de l’exigence de non-violence ? Y a-t-il, dans la longue durée des ans et des siècles, un progrès de la non-violence ? Il est difficile d’en décider. À tout le moins, ce progrès n’est pas linéaire. Aucune avancée n’est définitivement acquise. Surtout, il existe de nombreux reculs qui contrarient la progression de l’humanité vers la non-violence. Comprendre l’histoire comme une lente sortie hors du chaos de la violence vers l’ordre harmonieux de la non-violence serait une vision illusoire. L’histoire de l’humanité est une tragédie qui s’enracine à la fois dans la faiblesse et la grandeur des hommes. Il serait imprudent d’affirmer que le jour vient où cette tragédie s’achèvera. Contrairement à l’idéologue, celui qui opte pour la non-violence n’a pas la certitude que « la vérité finira par triompher », tout, même le mal, concourant au triomphe de la raison universelle. La non-violence ne s’enracine pas dans une pareille certitude ; elle ne fonde aucun messianisme, aucune eschatologie. Mais elle s’enracine néanmoins dans une espérance qui suffit à donner sens au présent. L’histoire, en définitive, n’a pas un sens, mais elle peut avoir du sens. Elle devient sensée chaque fois que les hommes se montrent capables d’agir ensemble pour créer une communauté fondée sur la justice et la liberté.

Aujourd’hui, face aux violences extrêmes qui meurtrissent nos semblables partout dans le monde, le temps n’est-il pas venu de prendre conscience que la violence est incapable de construire l’histoire, qu’elle ne fait qu’en bloquer le cours ? Il est remarquable que l’unité de référence qui permet d’établir le bilan de l’histoire du XXe siècle soit le million de morts. Tirer les leçons de l’histoire, n’est-ce pas, en définitive, reconnaître l’impuissance de la violence à résister à l’inhumain et à assurer la victoire de l’humanité ? Si nous voulons construire une histoire nouvelle, ne nous faut-il pas comprendre que la violence n’est pas la solution à apporter, mais le problème à résoudre ? N’est-ce pas cela, en définitive, avoir le sens de l’histoire ?!

 

 

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