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IMPORTANCE DE VIVRE AU PRESENT
Robert Linssen
« Vivre nouménalement parmi les phénomènes : telle est la sagesse du Présent. » Wei
Wu Wei Au cours des dernières années, le Zen, le Taoïsme, le Bouddhisme et le
yoga ont connu un essor considérable. Nous en avions déjà signalé
l’ampleur lors de la première édition de nos essais sur le Zen en 1960. Depuis lors, certaines expressions, telles « vivre l’instant »
ou « vivre intensément », sont devenues des slogans à la mode.
Mais qu’en fait-on ! Nombreux sont ceux qui n’ont pas la moindre idée de
l’inspiration profonde qui préside à des expressions telles que « être
présent au présent » ou « vivre intensément », « vivre
l’instant », etc. La « vie véritablement intense » n’est
pas seulement extérieure. Certes, il n’est pas impossible d’exercer une
qualité d’attention d’une
certaine acuité dans une vie active. Mais il est très probable que celle-ci
soit « périphérique » et s’éloigne de la sérénité des
profondeurs. Vivre intensément l’instant demande aussi le silence et une
vacuité conférant à l’intensité un caractère intérieur. L’Holomouvement fondamental, dont parlent David Bohm et Stan Grof, ne doit
pas être confondu avec l’agitation superficielle ; il requiert un sens
extraordinairement profond du présent. Ainsi que l’exprimait Krishnamurti : le but de l’existence humaine
consiste à « creuser le Présent pour trouver l’Eternel ». La sagesse chinoise enseignait que l’infini réside dans le fini de chaque
instant. Les êtres humains sont devenus tellement superficiels, agités,
qu’ils sont incapables de vivre naturellement. Les progrès envahissants des
fameuses « technologies de pointe » exercent une fascination considérable
sur les nouvelles générations. Nous assistons è la glorification des conquêtes
matérielles, de la vitesse, de la robotisation. En cette fin du XXe siècle, l’homme n’a pas la maturité lui permettant une utilisation judicieuse et adéquate des conséquences de sa technologie. Le prestige grandissant de celle-ci tend à creuser un fossé qui le sépare d’une certaine sagesse naturelle. La disparité existant entre les progrès techniques et l’évolution psychologique est plus grande que jamais. Au seuil du IIIe millénaire, des centaines de millions d’êtres humains sont des « déracinés » et des « exilés ». Privés des énergies spirituelles que le monde intérieur leur destine, les êtres humains vivent sous le signe de l’angoisse, de la violence et du désespoir. La progression du nombre des suicides et drogués chez les jeunes est un fait symptomatique et inquiétant. Comment faire comprendre et sentir que « l’infini est dans le fini
de chaque instant » ? Par quels moyens pourra-t-on proclamer assez haut et
faire comprendre qu’il est important de vivre et qu’en dépit de son désespoir
immense l’être humain possède au fond de lui uns source inépuisable de
force et de lumière intérieure ? Mais veut-il la chercher ? En a-t-il encore
la force ? Un tel énoncé provoqua parfois des réactions négatives et compréhensibles
: « La lumière intérieure ? Comprend pas ! Qu’est-ce que c’est ? De
la poésie ? C’est le cadet de mes soucis ! On ne m’a jamais parlé de ça ! » La « lumière intérieure » ? Elle commencera à filtrer,
lentement mais sûrement quand nous commencerons è vivre au présent. Lorsque
nous commencerons à nous délivrer des milliers de tensions et crispations
inutiles en vue de posséder plus, de « devenir plus », d’aller
plus vite, de produire plus, etc. En tout premier lieu, s’impose à nous la nécessité
de ne plus fuir le présent, de rester là, muni de toutes les énergies d’une
attention naturelle, entièrement concentrée dans la « momentanéité »
de l’instant présent. Simplement, sans ne rien attendre. Sans évoquer le
passé. Sans avoir recours aux habitudes faciles de ce qui a été vécue. Sans
permettre à notre imagination de s’évader dans les projets d’avenir. En
ceci réside l’exigence essentielle du Zen. Il se peut que, lors de nos premières tentatives, nous éprouvions une
impression de vide et que nous soyons déçus. S’il nous arrive d’être déçus
c’est parce que nous attendions quelque chose. Mais en tout cas, uns chose est
incontestable : aussi boiteuse et imparfait que soit notre tentative de « présence
au Présent », nous n’aurons plus masqué notre pauvreté intérieure
par des échos imagés du passé, ni par des projections vers le futur. Nous
deviendrons conscients de nos multiples dépendances, du bruit, de la
conversation, des spectacles, de la fumée, etc. LA SAGESSE DU MIROIR Le chemin qui nous conduit à la perception de la lumière intérieure passe
par le moment présent. Nous ne vivons jamais au présent. Le présent est, pour
la plupart d’entre nous, un simple passage complètement inaperçu. Nous
rappellerons ici l’image du miroir évoquée par le maître chinois Tchouang
Tzu : « Le parfait miroir, disait-il, voit tout mais il ne prend rien .»
Il ne compare rien, ne juge rien, n’attend rien. L’une des clés essentielles de l’Eveil intérieur réside en ceci : réaliser
une attention parfaitement présente dans laquelle n’interviennent plus aucun
élément du passé tels, images, souvenirs, jugements de valeurs, choix,
approbations, rejets, automatismes de verbalisation, comparaisons. Dans uns
telle attitude d’observation se réalise uns convergence de toutes les énergies
de la conscience dans la « momentanéité » de l’instant présent.
Cette attitude d’attention ne comporte rien d’extraordinaire ni de mystérieux.
Elle oriente l’être humain vers un état naturel de perception globale immédiate
d’une grande clarté. Cet état est empreint d’une grande sérénité et
permet à la conscience de pénétrer dans des niveaux d’énergie et des
dimensions naturelles généralement ignorées. En ceci réside l’essentiel de
ce que Krishnamurti et les Maîtres du bouddhisme appellent « la Vision pénétrante ». *** Il n’est pas inutile de signaler ici que les sagesses antiques
enseignaient l’existence d’un univers pluridimensionnel formé de niveaux
d’énergies infiniment plus variés et riches que ceux qui nous sont généralement
accessibles. En 1988, de nombreux savants, tels le prix Nobel Abdus Salam,
postulent l’existence d’un univers à sept dimensions. Pour David Bohm, nous
vivons dans un univers pluridimensionnel mais il est important d’ajouter que
les niveaux d’énergie la plus fondamentaux sont précisément ceux dont nous
ignorons et nions en général l’existence. L’HOLOMOUVEMENT SILENCIEUX SANS DIRECTION NI BUT Pour quelles raisons le moment présent et le silence sont-ils importants?
Parce que l’univers, dans sa totalité, doit être considéré comme
l’unité organique d’un seul et même Vivant. Celui-ci est animé par
un seul et même mouvement englobant et dominant tous les mouvements se déployant
dans tous les niveaux d’énergies et toutes les dimensions. David Bohm le
désigne par l’expression d’« Holomouvement ». L’Holomouvement
est complètement différent de tous les mouvements que nous connaissons.
Ceux-ci sont conditionnés par les coordonnées de temps, d’espace, de
causalité. Ce sont des mouvements linéaires. L’Holomouvement est un
mouvement de création, intemporel, a-causal, non-linéaire, sans
direction. Il peut être considéré comme le battement de cœur du Grand
Vivant, mais cette expression n’est pas adéquate parce qua le mot « battement »
implique des coordonnées de temps et d’espace. Ceci nous montre l’importance de l’invention d’un nouveau langage.
Nous nous heurtons ici, uns fois de plus à une impossibilité parce que de
toute évidence les langages qui nous sont accessibles portent les empreintes
indélébiles du temps, de l’espace, de la causalité. Telles sont les raisons
pour lesquelles les formes les plus dépouillées de l’expérience mystique évoquent
la nécessité du silence. De ce point de vue, l’accord est complet entre
Krishnamurti, Maître Eckhart, la Ch’an, la Taoïsme, l’Advaïta Védanta,
le Soufisme, etc. Nous ne soupçonnons pas l’ampleur de la corruption qu’engendre
l’emploi du langage commun dans notre vie intérieure. Un défilé constant de
mots en trouble la quiétude. Il n’y a pas de pensée sans mot. Ces échos du
passé, porteurs, la plupart, de valeurs absolument fausses font obstacle à la
perception du Présent, Nous subissons presque tous, sans réagir, le vacarme
d’un langage négatif qui se limite à la mesquinerie de nos auto-occupations. David Bohm souligne le rôle nocif du langage et le rôle important
qu’il joue dans l’obscurcissement de la vraie nature de la Réalité. Selon Stan Grof, « le langage contribue à créer la fausse notion
d’éléments statiques, non changeants dans un monde, qui, par nature, est
lui-même un processus dynamique. En même temps, il soutient l’illusion
d’entités séparées dans un monde de plénitude indivise. La clé du rôle instrumental du langage, qui nourrit la perception fragmentée
(fausse) du monde et la pensée en termes d’entités séparées
interagissantes est la structure verbe/objet des phrases qui caractérisent le
langage moderne. Bohm a développé un nouveau mode expérimental de langage :
le Rhéomode, qui insiste sur le processus de Plénitude indivise,
en donnant une fonction basique au verbe, de préférence au nom. Nous trouvons ici uns tentative d’application dans le langage des deux aspects de l’Univers. D’abord le Vivant, ensuite le résiduel intervenant à titre second et dérivé. Tous deux sont englobés dans l’Holomouvement, mais le Verbe reste toujours prioritaire par rapport à l’objet. Il n’y a pas d’objet, pas de chose, pas d’entité. Il n’y a que des processus. Il n’y a que des événements. Nous devrons le répéter inlassablement. Il existe une véritable perfidie du langage. La presque totalité de l’espèce humaine actuelle est entièrement piégée dès la naissance, et même avant celle-ci. Un exemple de la difficulté d’évoquer l’Holomouvement se trouve su
cours des dialogues entre Krishnamurti et Devid Bohm.[1]
Faute de terme adéquat ils n’ont d’autre possibilité que celle
d’utiliser l’expression paradoxale d’un mouvement qui n’est pas du
mouvement (semblable à celui qui nous est familier). C’est ce que nous avons
désigné dans nos essais par « mouvement de création ». Celui-ci
se situe au niveau de ce que David Bohm appelle la « source » ou
l’ordre super-impliqué. Mais le silence n’est pas l’absence de bruits extérieurs, de paroles.
Le silence véritable est le Présent par excellence. Le seul obstacle au
silence est formé par le vacarme permanent de la pensée. L’activité
continuelle du mental s pour objet essentiel des éléments liés à notre
auto-occupation. Ces éléments sont constitués par des échos résiduels de
notre pensée. Ceux-ci sont eux-mêmes liés aux mémoires de l’inconscient
collectif que Krishnamurti appelle l’« égo de l’humanité ». En l’absence de ces mouvements habituels, mesquins, inutiles et
destructeurs pour la plupart, nous accédons naturellement à l’état de
silence créateur. Dès cet instant la nécessité d’avoir recours à une
autre forme de langage disparaît. Pourquoi ? Dans le silence véritable se révèle la présence d’une plénitude d’énergie,
de conscience, d’amour éclipsant tout recours ou toute nécessité d’un
langage. L’Holomouvement se suffit à lui-même. Il englobe la dualité de l’expérimentateur
et de l’expérience dans l’intimité d’uns lumière dont la clarté révèle
l’incomplétude du langage habituel. Nous abreuvant d’instant en instant à la Source d’énergie et de lumière
du Présent, nous sommes à tel point comblés de richesses intérieures qu’il
est naturel qua celles-ci débordent dans ce qui reste de nous physiquement et
nous suggèrent le partage. Nous nous heurtons dès lors à ces difficultés de communication inhérentes
aux limites du langage habituel. Ceci est d’autant plus évident qu’il est
indispensable d’associer dans notre commentaire le silence véritable au Vide.
Nous avons insisté sur le fait paradoxal de la plénitude du Vide. Précisons
ici que le Vide doit être compris comme l’absence complète de toutes nos
valeurs habituelles, images, souvenirs, formes, mots, échos du passé. Le
« vide » dont il est question ici ne peut être confondu avec le néant, L’UNIVERS S’AUTOGENERE En quoi chaque instant présent est-il unique ? Chaque instant présent est unique parce que l’univers n’est pas une
gigantesque mécanique dont les rouages tournent toujours de la même façon. Il
n’y a jamais de répétitions. Au contraire ! L’Histoire de l’évolution
est celle d’uns prodigieuse aventure dont les rythmes se situent en dehors des
lois connues du hasard ou de l’anti-hasard. Ainsi que le souligne I.
Prigogine, les processus de la nature comportent une prédominance d’irréversibilité,
de création et d’improvisation. Chaque instant présent comporte un
patrimoine informationnel absolument unique qui ne se présentera plus jamais.
Son contenu change constamment. En plus de ce qui précède, chaque instant est
en interaction avec les changements qui se produisent dans les autres
dimensions ou plans de l’univers. Les intuitions des sagesses antiques sont confirmées par les sciences
nouvelles de 1988. Celles-ci enseignent que tous les événements illustrant
l’histoire d’un univers sont mémorisés sous forme de champs
indestructibles. Le patrimoine informationnel de l’univers s’accroît donc
constamment en vertu de l’indestructibilité des enregistrements mémorisés.
Chaque instant présent est donc différent et unique. Ce processus de mémorisation constante constitue l’une des forces axiales
présidant au devenir évolutif. L’énigme apparente des mutations est en voie
de résolution. Les mutations sont plus apparentes qua réelles. La soudaineté des changements évolutifs est la manifestation d’un
processus constant et lent de mémorisation se poursuivant dans d’autres
dimensions de l’univers, invisibles à nos yeux, mais très réelles. Ainsi que s’exprime H. Reeves, « la musique de l’univers
s’improvise au fur et à mesure ». Il y a dans ce processus ni but, ni
commencement ni fin, ni manifestation d’un projet quelconque, ni point
terminal. Les découvertes d’importance historique dans le domaine de la
biologie réalisées en 1987, tant en Chine (Dr Li de l’université de Pékin)
qu’en URSS (par le Dr Vladimir Inyushine de l’université l’Alema Ata),
qu’en République fédérale allemande, (le Dr F. A. Popp de l’université
de Kaisesralautern), qu’en USA (le Dr P. S. Callahan de l’Institut
agronomique de Floride) sur les micro-ondes laser accompagnant les divisions
cellulaires, nous montrent le spectacle magnifique d’un univers qui s’autogénère
constamment en fonction d’un patrimoine informationnel de plus en plus considérable.
Il n’y a là, ni finalité, ni téléologie ni matérialisation d’un projet,
mais expression libre et spontanée d’un processus cosmique de création
constante dont les physiciens de pointe viennent d’entrevoir le rôle
prioritaire. Noue retrouvons ici, une fois de plus, l’évocation d’un Jeu
Cosmique, le lila de l’antique sagesse indienne. Ceci montre l’ampleur de l’unicité de chaque instant présent et le
caractère insondable de la Grande Aventure du Jeu cosmique. Nul besoin d’échafauder
des hypothèses concernant un but, une station terminale que le processus
cosmique se proposerait d’atteindre dans un avenir imaginaire. Ainsi que le
souligne le savant rationaliste français Louis Rougier, « si nous croyons
en Dieu, accordons-lui les caractères spécifiques de l’infinitude et ne le
rapetissons pas aux limites de nos concepts anthropomorphiques de tempe,
d’espace, de but à atteindre. » L’Univers, en tant que Grand Vivant, est immensément différent des
constructions mentales sophistiquées élaborées par la plupart des théologiens.
Chaque instant présent du Grand Vivant, considéré dans la totalité de sas
dimensions et niveaux énergétiques, est une Plénitude. Ceci est l’objet d’un renouvellement constant de caractère paradoxal échappant
à toute possibilité de représentation mentale et de discussion. Il est plus
adéquat de dire ce qu’elle n’est pas. Tout en étant l’Essence même de
la Vie, elle n’est l’objet d’aucun mouvement tels que nous les
connaissons. Alors que l’univers manifesté s’enrichit constamment des mémoires
qui se forment à tous les niveaux, il serait dangereux et inadéquat de parler
d’enrichissement au niveau de la Source cosmique. Dans le domaine du Suprême,
il n’y a pas d’accumulation. Nous avons tenté au cours de nos essais (La Danse Cosmique) de
parler du mouvement de création, mais dans la mesure où nous souhaitons
trouver un langage plus adéquat que celui utilisant les mots habituels, nous
nous heurtons à des obstacles infranchissables. Un exemple frappant de l’inadéquacité
des mots habituels se révèle lors des discussions entre Krishnamurti et David
Bohm concernant le temps et le mouvement. Evoquant le caractère vivant du
« Fondamental », ils déclarent qu’il n’est pas statique.
C’est une évidence. Finalement, ils sont dans l’obligation de formuler un
énoncé très paradoxal : « le Fondamental est un mouvement qui n’est
pas un mouvement » !!! L’absence d’un nouveau langage entraîne des situations embarrassantes.
Ce sont de telles difficultés qui montrent l’utilité des tentatives de David
Bohm dans ses recherches d’un nouveau langage : le Rhéomode. *** Le sens de la Plénitude se trouve admirablement évoqué par Radha Burnier
dans le commentaire d’un texte chinois : « A quoi bon regarder vers l’extérieur ? Tout ce que vous voyez ce
sont des objets !! Retournez-vous ! Regardez vers l’intérieur. « Verrai-je alors le sujet au lieu de l’objet ? « Si c’était cela, vous regarderiez de nouveau un objet. Un objet
est un objet, quelle que soit la direction où vous regardiez. « Ainsi, je ne peux pas me voir moi-même ? « Vous ne pouvez pas voir ce qui n’est pas là !! « Que verrai-je donc ? « Vous verrez peut-être l’absence de vous-même. C’est Cela qui
regarde. On l’a appelé le « Vide ». « Le « Vide », c’est le Nirvana, mais ce n’est pas le
vide. C’est la Plénitude, cette plénitude qui est amour, béatitude, la Paix
qui dépasse l’entendement. La connaissance absolue n’est que l’amour
absolu. » LA GRANDE REVOLUTION COSMOLOGIQUE DE 1988 Contrairement à ce qu’ont enseigné beaucoup de philosophies, l’univers
n’a ni commencement, ni fin, ni point de départ, ni point d’arrivée. Les
physiciens ont toujours reconnu dans la présence d’une singularité
(Big-Bang) l’inadéquation d’une théorie. Les équations qui tentent de
rendre compte des processus irréversibles présidant au devenir constant de
l’univers sont ouvertes. Elles ne peuvent que représenter des tranches
provisoires d’une vie infinie, tranches qui sont artificiellement abstraites
d’une totalité indivise par la pensée humaine, victime d’un processus de
fragmentation. Il n’y a pas de « Big-Bang » unique ! Bien sûr,
l’Univers est actuellement en expansion depuis 15 ou 20 milliards d’années.
L’effet Doppler-Fizeau et diverses mesures le prouvent. Mais il s’agit d’un
événement englobé dans un ensemble de fluctuations immenses impliquées dans
une totalité multidimensionnelle insondable dont on ne pourra peut-être
jamais définir l’étendue ou la grandeur. Ilya Prigogine, reprenant les travaux de J. Géhéniau, E. Gunzi et P. Nardone, lauréats du Gravity Research Foundation, a élaboré un modèle nouveau et cohérent du processus de l’Univers. Il est basé sur la complémentarité de la Relativité générale et certains concepts essentiels de ta nouvelle physique quantique permettent de définir correctement la nature de la matière. La matière est considérée comme un état particulier d’activation du
« vide » du champ primordial. Mais encore faut-il préciser que ce
« vide » n’est pas le néant. En lui, résident les plus hautes
formes de l’énergie correspondant vraisemblablement à l’« ordre
impliqué » évoqué dans le modèle du physicien David Bohm. Dans cette perspective, l’énergie primordiale, non manifestée, se
manifeste par des phases d’excitation périodiques au cours desquelles le
processus irréversible de la matière, du temps, de la dilatation de l’espace
explose. L’univers surgit avec les champs formant la « pré-matière »
qui vont déterminer les interactions de l’espace-temps au cours de multiples
réactions en chaîne laissant, à titre résiduel, la quantité totale de la
matière actuelle. Mais rien n’est statique ici, car la matière se crée et
se détruit constamment. Les 15 ou 20 milliards d’années dont nous sommes
l’aboutissement provisoire ne constituent qu’une phase englobée dans une
multitude d’autres phases. Seule émerge, en lumineuse certitude, l’élan irréversible d’un
processus de création immense, incroyable, infiniment plus vaste que tout ce
que les scientifiques et les poètes auraient pu imaginer jusqu’à ce jour.
C’est bien ici qu’il faut souligner l’importance de vivre au Présent et
le caractère unique de chaque instant. *** Un contraste saisissant se révèle entre les deux approches liées aux modèles
concernant la création et la nature de l’Univers. En accord avec l’ancienne
hypothèse du Big-Bang unique, la première approche présente l’univers et
l’espèce humaine évoluant dans le temps selon une trajectoire linéaire
conduisant à une plénitude ou perfection, sorte de point Oméga considéré
comme but ou motivation essentielle du devenir évolutif. Il s’agit d’un
anthropomorphisme rencontré dans beaucoup de philosophies judéo-chrétiennes.
Il conduit l’être humain dans une avidité de devenir, souvent
obsessionnelle, en vue d’atteindre dans l’avenir une certaine perfection ou
l’acquisition de biens spirituels imaginaires. Il n’y a pas de pires
obstacles à la perception des richesses intérieures du Présent. La seconde approche s’oppose à toute hypothèse de commencement absolu ou
de Big-Bang unique. La Plénitude de l’Univers est présente en chaque
instant. Chaque seconde contient le caractère unique d’un processus de création
irréversible qui n’a ni commencement ni fin. Toute singularité absolue et
fixe est exclue. Une erreur fondamentale de perception fragmentaire prive la plupart des êtres
humains d’une vision holistique et pénétrante leur révélant la plénitude
du Présent et l’infinitude d’une conscience universelle. Telle était la
vision des sagesses taoïstes, bouddhistes, zennistes, entièrement libérés du
temps et de l’avidité de devenir. Sur le plan scientifique, les travaux do David Bohm, de F. Capra, de B.
Nicolescu et tout récemment ceux d’Ilya Prigogine tendent à confirmer avec
force la vision d’un univers qui s’autogénère spontanément dans le
sillage irréversible d’une plénitude créatrice qui n’a, ni commencement,
ni fin. Les sagesses anciennes et, récemment Krishnamurti, nous donnent les clés
permettant une participation intérieure et supra-mentale des êtres humains à
cette insondable et mystérieuse aventure. *** L’absence presque généralisée de cette perception holistique
fondamentale est la cause principale de toutes les crises déchirant l’humanité
depuis des siècles. Ainsi que le déclare le physicien Henry P. Stapp, Professeur à
l’Université de Berkeley : « L’idée (fausse) que l’homme se fait
de sa place dans la nature a été dans l’histoire de l’humanité une force
qu’aucune autre n’a surpassée : la vie de millions d’individus lui a été
sacrifiée et des civilisations entières ont péri par son emprise. Vu les
effets destructeurs de la vision mécaniste issue de la physique classique, il
y a lieu de penser que l’instauration et la diffusion de la vision quantique
holistique pourraient être à l’origine d’une force puissante mais bénéfique
au service de l’homme. »[2] LA GRANDE AVENTURE Chaque instant présent contient la plénitude de force, de conscience, de
lumière et d’amour du Grand Vivant sous une forme apothéotique, indivise et
désanthropomorphisée. Un philosophe déclarait récemment que le divin est le
« Grand Aventurier » ! Dieu est le Suprême Aventurier, intensément actif et silencieux.
L’activité mystérieuse et supra-mentale du Noumène laisse, pour les
observateurs ignorants que nous sommes, des traces résiduelles. Elles sont
nettement cumulatives à nos yeux. Mais ce mouvement vers le plus n’a rien de
commun avec les activités cumulatives qui résultent de nos intérêts et
activités égoïstes. La pleine connaissance de nous-même nous permet une participation sans
limite aux merveilles cachées de la Grande Aventure. Ceci requiert le dépassement de l’égo. Nous devons nous affranchir de la
pesanteur des mémoires accumulées. Nous sommes des milliardaires du temps et
de la mémoire. La pleine connaissance de nous-même nous révèle l’emprise
considérable de ce que Krishnamurti appelle l’« égo de l’humanité ».
Libérés de cette chape de plomb formée par les échos résiduels du passé,
c’est dans le ravissement et l’extase qu’est vécu la participation à
l’incroyable aventure du Grand Vivant. Nous sommes dès lors en mesure ce donner la seule réponse valable – et
surtout efficiente – aux problèmes immenses de la souffrance, de la cruauté,
de la violence et de la décadence du monde. Efficiente ? Oui. Cela veut dire
« qui entraîne
des effets durables », tel que l’enseignaient les anciens maîtres
taoïstes, tel que l’enseignent David Bohm et Krishnamurti. Une science de l’efficience des énergies spirituelles a toujours existé.
Le fait nouveau réside dans sa confirmation inattendue par un physicien de réputation
mondiale tel que David Bohm. Rien au monde n’est plus simple et naturel
qu’une ouverture complète et constante à la flamme toujours renaissante et
vive du Présent. Mais attention ici ! Sachons bien qu’il s’agit d’une Présence
au niveau de laquelle se situe la plus haute concentration d’énergie du
Cosmos. L’Eveil est la réalisation d’un vécu de l’Holomouvement réalisant
une simultanéité entre le présent spatio-temporel phénoménal et le Présent
intemporel nouménal. Notre instructeur dans le Zen (Wei Wu Wei) appelait cela : « Vivre
nouménalement parmi les phénomènes. » Tout est là. Dans le vécu authentique de ce processus naturel, « la conscience, déclarait
le Dr Roger Godel, renaît comme naît chaque matin le feu du soleil dans sa
montée sur l’horizon. Cette aube est une pointe sans dimension ;
cependant son éventail se déploie invisiblement et annihile les ombres du ciel
ambiant. Si intense est l’éclat de cet unique moment de conscience que tout
sentiment de durée s’évanouit : le passé, la mémoire, la pensée du moi et
son futur sont consumés dans la fulguration de l’éclat naissant. » Ce qui précède donne réponse aux questions « Qu’est-ce que vivre
? » et « Qui vit ? » Mais ces réponses n’ont de valeur
pour autant que nous ne les érigions pas en concepts fossilisés et que nous
plongions sans réserve ni crainte et que nous vivions la transsubstantiation du
résiduel que nous croyons être, en termes du feu intérieur que nous sommes. « QUI » VIT ? Les questions les plus essentielles de la vie se posent rarement. Qu’est-ce que vivre ? Et surtout : « Qui » vit ? Pour Monsieur
et Madame Toutlemonde, vivre consiste à boire, manger, dormir, jouir des
plaisirs de l’amour, affronter las souffrances de la maladie, de la vieillesse
et de la mort. Vivre consiste, pour la plupart, à se débrouiller au cours de
toutes les circonstances en luttant pour s’assurer des possessions matérielles
conférant non seulement la sécurité mais aussi le pouvoir, la prestige, la
renommée. Pour d’autres, déjà moins nombreux, vivre consiste à se
comprendre et percer les mystères de la nature par l’étude, la recherche
scientifique, philosophique ou religieuse. Très rares sont ceux qui se posent les questions : « Qui » vit
? « Qui » voit ? « Qui » écoute ? Nous nous sommes à
tel point identifiés exclusivement au corps, à l’image que nous avons de
nous mêmes, à l’égo, que ces questions sont considérées comme absurdes,
inutiles. Beaucoup d’intellectuel, répétant solennellement l’affirmation
cartésienne du « Je pense, donc je suis », hausseront les épaules.
Carlo Suarès, incomparablement, plus profond et perspicace déclarait :
« Je pense… donc je détruis. » C’est exact, sauf si l’on
pense correctement. Ce qui n’arrive presque jamais. Nous avons tenté d’en
exposer les raisons ailleurs.[3] Les questions fondamentales évoquées précédemment impliquent un autre
« Qui suis-je ? » Depuis des millénaires, la spiritualité
orientale pose cette question essentielle. Elle y a donné des réponses riches
d’enseignement. Un contraste saisissant existe entre ces réponses et celles,
pleines de suffisance, données par de nombreux intellectuels. « Je vis,
cela me suffit. Je pense donc je suis et je suis bien dans ma peau. La
programmation des gènes, chromosomes, des informations d’ARN et d’ADN que
m’ont léguées mes parents me suffisent et permettent de répondre amplement
à mes interrogations. » *** Monsieur et Madame Toutlemonde ne se doutent guère de l’imposture
consistant à proclamer « Je pense, donc je suis ». Car chacun de
nous est tout autre chose que ce corps né il y a quelques années et mourant
dans quelques années après avoir manifesté et épuisé le potentiel légué
par ses géniteurs ! Ainsi que l’exprime Stanislav Grof :[4] La pansée humaine, en tant que telle, est une réponse active de la mémoire
qui inclut des éléments intellectuels, émotionnels, sensoriels et somatiques,
dans un processus unifié et inextricable ; celle-ci ne fait que nous répéter
quelques vieux souvenirs ou bien, recombine et organise leurs éléments en de
nouvelles structures dynamiques. Il est impossible de créer quoi que ce soit
de nouveau dans son principe. Dans ce contexte, même la nouveauté est mécanique. Vue de cette perspective, la pensée est inséparable de l’activité
physiologique, biochimique et électrique du cerveau. Il n’y a cas de raisons
inhérentes qui fassent que la pensée soit pertinente et appropriée par
rapport à la véritable situation qui
l’évoque. Tout ce qui précède peut être résumé en un mot. Il signifie à la fois
tout ou rien suivant l’angle sous lequel on l’examine. Et l’angle sous
lequel on l’examinera au cours des lignes qui suivent est TOUT parce que pour
révéler la plénitude de ce qu’il est et de ce qu’il contient, un
mouvement doit être vécu. C’est l’Holomouvement évoqué par David Bohm.
Nous le désignons comme lui par « mouvement de création ». Ce
mouvement constitue le « battement de cœur » du Grand Vivant
qu’est l’univers. La Plénitude de la Vie consiste à nous rendre
disponibles à l’énergie de ce mouvement de création et de LE laisser opérer
en nous, à tous les niveaux. Telle est la véritable richesse du Présent. ***
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